(Episode 10) : Le Marquis du Val de Brume

Publié le par Denis Lereffait

Pour le plus grand bonheur, il força le conducteur de l’Audi à contre braquer violemment et ainsi mettre sa voiture en travers de la chaussée pour échapper miraculeusement à la collision.

S’il avait cru en Dieu, sûre que le Marquis lui aurait rendu grâce pour ce miracle. Le conducteur de l’Audi, visiblement un pilote chevronné, ne tarda pas à reprendre la course poursuite en laissant dans son sillage un épais nuage de poussière blanche. Ce petit incident de parcourt eut tout juste pour conséquence de laisser au taxi la chance de s’engager le premier sur le pont. Nettement plus serein que quelques secondes auparavant, le Marquis s’interrogea sur les intentions des occupants de la berline Allemande. Venaient-ils en amis ? En ennemis ? Vraisemblablement les prochaines minutes se chargeraient de l’éclaircir au moins sur cette question.

Enveloppés dans le nuage créé par le rapide passage du taxi, les deux véhicules Allemand pénétrèrent sur le pont à peine une dizaine de secondes plus tard.

-Gagné !! Cria victorieusement le chauffeur de taxi en frappant joyeusement du poing sur son volant. Maintenant s’ils croient nous coincer, ils se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Je vais les emmener dans les souterrains du centre commercial en construction. C’est un labyrinthe que je connais par cœur. Je vous le dis, ils ne sont pas prêts de revoir le jour.

Le Marquis partageait volontiers son enthousiasme mais pas forcément sa confiance. Les individus qui les poursuivaient devaient être plein de ressources, les sous-estimer, c’était se condamner à mort à coup sûre.

Des coups de feu éclatèrent. Craignant pour sa vie, le Marquis baissa la tête et le buste à moitié de la hauteur du siège. Cinq déflagrations retentirent sans que le taxi n’essuie le moindre coup au but. Un peu surpris de leur manque de précision, le Marquis s’autorisa à jeter un coup d’œil par la lunette arrière. Une certaine jubilation l’habitat en voyant les occupants de la BMW tirer sur ceux de l’Audi. Amis, ennemis, la question ne risquait rapidement de ne plus poser faute de combattants. En imaginant que les quatre hommes de la BMW étaient envoyés par Victorio Penny pour lui faire la peau, à quelle organisation appartenait ceux de l’Audi ?

Lorsque le chauffeur du taxi engouffra sa Peugeot dans la pénombre des sous-sols, des tirs d’arme automatique continuèrent à résonner dans le lointain. Petit à petit le passage voûté sous lequel ils roulaient à toute allure alla en se rétrécissant. Tant et si bien que très rapidement il serait impossible à deux voitures de rouler de front. Aucun de chauffeurs ne semblant vouloir renoncer, les deux voitures Allemandes se rapprochèrent jusqu’à se toucher. Le Marquis cru que cette situation allait s’éterniser quand l’Audi, faisant une embardée spectaculaire sur la droite, s’écrasa littéralement contre un pilier en béton. Sous le choc, les roues arrières de l’Audi quittèrent le sol. Il devint difficilement imaginable que dans l’amas de tôle broyée, on puisse dénombrer le moindre survivant. Au lieu de prendre de la vitesse, la BMW ralentit en zigzaguant dangereusement. Dans ce combat à couteaux tirés, le chauffeur de la voiture devait aussi avoir été touché.

Le Maquis ne put admirer la suite de la scène, la suite de virages serrés dans lesquels le chauffeur de taxi lança sa Peugeot, fit en sorte qu’il les perde de vue. Lorsque victorieusement ils ressortirent du dédale des couloirs souterrains, il ne restait plus aucune trace de la moindre poursuite. Mi rassuré, mi inquiet, le chauffeur du taxi vint chercher une confirmation auprès de son passager.

-Vous croyez qu’on les a semés pour de bon ?

-J’ai comme l’impression que nous ne sommes pas là de les revoir, lui confirma-t-il.

-Je vous l’avais dit, je suis le roi des sous-sols. Ici personne ne m’arrive à la cheville !! Se glosa le chauffeur fier comme un coq.

Le Marquis qui avait toujours besoins de se rendre à l’aérodrome, continua dans la flatterie.

-Futé comme vous êtes, vous devez bien connaître un raccourci d’enfer pour aller jusqu’à l’aérodrome ?

-Vous allez voir ce que vous allez voir, dans le quart d’heure vous y serez.

Soucieux de respecter son engagement, le chauffeur de taxi mit tout en œuvre pour ne pas dépasser ces quinze minutes. Le Marquis se cala tout au fond de son siège et attendit. Sans ralentir à quelque carrefour que ce soit, le chauffeur rejoignit bientôt une route nationale à la circulation moyennement fluide. Sans hésiter une seule seconde, il emprunta à tour de bras la bande d’arrêt d’urgence pour doubler par la droite les voitures dont il invectivait au passage leurs conducteurs.

Lorsque le chauffeur immobilisa son véhicule sur l’emplacement qui lui était réservé, moins de quinze minutes venaient de s’écouler. Sans chercher à compter, le Marquis sorti une liasse de billets qu’il tendit au chauffeur par sa fenêtre entre ouverte. Avant que ce dernier ne redémarre, il lui prodigua un dernier conseil.

-Rentrez prudemment chez vous, rassemblez votre petite famille et disparaissez quelques temps de la région.

-Vous pensez qu’ils vont essayer de me retrouver ?

-J’ai du mal à imaginer qu’ils n’aient pas relevé le numéro de votre plaque d’immatriculation.

-Mais je n’ai rien fait…

-Moi je le sais, mais allez le raconter au boss des quatre occupants de l’Audi qui sont en train de faire un poker aux enfers avec le diable.

-A votre avis, j’ai combien de temps ?

-Si tout va bien, pas plus de deux heures.

-Et dans le cas contraire ?

-Alors dans ce cas ils vous attendent déjà chez vous…

-Merde !!!....

Ce fut le dernier mot que le Marquis l’entendit prononcer. Il appuya de nouveau à fond sur la pédale de l’accélérateur. Les roues avant de son taxi patinèrent un moment avant de retrouver leur adhérence et le tracter violement en avant.

Son sac à cuir à la main, le Marquis pénétra tranquillement dans l’aérodrome. Une épaisse liasse de billets à la main, il ne tarda pas à trouver un avion pour le ramener au plus tôt à la périphérie de la capitale. Moins de vingt minutes plus tard, il décollait à destination de Vélisy-Villacoublay.

OOOO

Antoine regarda James, les deux jeunes adultes se montraient une estime réciproque. Depuis leur départ du commissariat, ils ne se quittaient plus d’une semelle.

-Tout à l’heure en prison tu m’as fait confiance en me racontant ton histoire. En retour, moi j’estime que ça me donne des obligations. Et puis merde, si deux égarés comme nous ne peuvent pas se donner la main, qu’est-ce qu’on foutrait dans ce monde ? Aujourd’hui je t’aide, demain qui sait, c’est peut être toi qui m’aidera…

-Pour sûre, si demain je peux t’aider, alors saches que quelle que soit l’heure tu peux compter sur moi. J’ai une dette envers à honorer et je ne suis pas de ceux qui oublient, que ce soit demain, dans un mois ou dans dix ans.

-On n’en est pas là. Lorsque nos chemins se sépareront, tu as une idée d’où tu iras ?

-Non pas trop. En fait je cherche un flic, un certain commissaire Bidaut. Mon oncle m’a toujours dit que s’il devait mourir, je devais immédiatement me mettre sous sa protection. Pendant que les flics m’interrogeaient au sujet de ma présence dans le squat, je leur ai parlé de lui. Ils m’ont répondu en rigolant que ce vieux fou était parti à la retraite depuis plus de six mois.

-Le commissaire Bidaut tu dis..

-Tu le connais ?

-Il m’a arrêté deux ou trois fois alors que j’étais encore mineur. Si mes souvenirs sont bons, c’était un mec bizarre. J’ai du mal à croire que ton oncle t’ait conseillé de te mettre sous sa protection en cas de coup dure. Enfin, il avait peut-être des raisons qu’il n’a pas cru bon de t’expliquer.

-Sur ce point-là tu as raison, mon oncle n’a jamais été très clair sur ce sujet. En fait, j’ai cru comprendre que ce commissaire Bidaut devait me conduire à une autre personne.

-Tu veux que je te trouve l’adresse de ton commissaire ?

-Tu pourrais ?

-Possible… Laisses moi cinq minutes juste le temps de passer deux ou trois appels téléphoniques. On va aller prendre le RER à la station Nanterre préfecture, juste à côté il y a plein de cabines téléphoniques.

Ignorant le froid glacial qui les mordait à pleines dents, Antoine et James accélèrent l’allure. Une fois parvenue dans la rue des trois Fontanots, un vent violent venant de face leur fouetta le visage. Voûtant les épaules, ils tentèrent de résister à l’assaut de cet élément déchainé qui freinait considérablement leur progression. Arrivant en sens inverse, un flux important de fonctionnaires et d’employés de bureau se dépêchaient de rejoindre la chaleur de leur lieu de travail.

Presque arrivés sur la place Charles de Gaulle, où se situait la station de RER, Antoine se souffla plusieurs fois dans le creux de ses mains pour réchauffer les jointures de ses doigts tandis qu’ils commençaient à prendre une inquiétante teinte bleutée. James la tête baissée, ne vit pas l’homme en costume sombre qui se dirigeait droit vers lui. Lorsque le choc inévitable se produisit, l’homme en costume déséquilibré tomba au sol. Dans le même temps, Antoine saisit James par le revers de sa veste pour lui éviter le même sort.

-Excusez-moi monsieur, j’avais la tête ailleurs plaida James en aidant l’homme en costume à se relever.

-Petit con, vomi ce dernier en réponse aux excuses de James.

Sans se prêter attention à sa dernière réplique, James reprit sa progression en direction du RER, comme si de rien n’était. Antoine, un instant interdit, observa cette étrange scène en se demandant si ses yeux et ses oreilles ne le trompaient pas. James ne faisant aucun effort pour l’attendre, il dut allonger le pas pour le joindre. Parvenu à la hauteur de son épaule, il lui exprima verbalement son incompréhension.

-J’y comprends rien, il t’insulte et toi tu le laisses dire sans rien faire. J’ai pourtant bien cru un instant que tu allais lui mettre une droite…

Sans ralentir le pas, James lui répondit de manière très directe.

-Tu as de l’argent pour téléphoner ou pour prendre le RER ?

-Non, j’ai pas une tune en poche.

-Et bien maintenant tu as de l’argent, lui répondit en souriant James un portefeuille de cuir noir entre les mains.

-C’est le portefeuille du mec que tu as renversé ?

-Tu comprends mieux à présent, pourquoi je n’ai pas eu le temps de m’attarder pour lui apprendre les bonnes manières…

Puis le fouillant rapidement.

-Super ! Il y a même une carte téléphonique. Avec un peu de chance le crédit ne sera pas épuisée. Tu vois, il faut toujours être optimiste, notre situation s’arrange…

Puis s’arrêtant devant une cabine téléphonique.

-Attends-moi là deux minutes.

Les deux minutes se transformèrent rapidement en cinq puis en dix. Les pieds d’Antoine commencèrent à s’engourdir, il décida de faire quelques pas sans pour autant noter la moindre amélioration. Tout à sa marche, il s’approcha de l’escalator d’où sortait une file intarissable d’hommes et de femmes d’affaire. Une douce chaleur émanait des profondeurs de cet escalier mécanique. Un instant Antoine fut tenté de descendre les marches pour aller se réchauffer les pieds. Au moment de se décider à le faire, il vit en jetant un regard en arrière que James sortait enfin de la cabine. Oubliant le froid qui lui tétanisait les jambes. Antoine se précipita vers lui.

-Alors, c’est bon ?

-Ton commissaire s’appelle Alfred Bidaut, il loge au 3 allée des Pommiers à Chennevières sur Marnes dans un pavillon. Il parait que c’est à deux pas de la gare. Tu ne devrais pas avoir trop de problèmes pour parvenir à le trouver.

-James, je ne sais pas d’où tu tiens ces renseignements, mais tu m’épates.

-Laisse la brosse à reluire de côté et magne-toi d’entrer dans les couloirs du RER. Je sens que dans moins de cinq minutes, nous serons complètement gelés.

Antoine et James s’engouffrèrent dans le tunnel sous terrain, puis se rendirent au dépôt de vêtements. Rien ni personne ne vint contrarier le vol qu’ils perpétrèrent. James récupéra les affaires de Simon qu’il enfoui au fond d’un banal sac en plastique.

A l’issue d’une franche et chaude poignée de main, les deux jeunes adultes se séparèrent. Pour la première fois depuis son départ de Suisse, Antoine était tout seul, livré à lui-même. Un bref sentiment de lassitude et de doute tenta de s’emparer de lui. Courageusement il repoussa l’un et l’autre, pour tout dire il s’étonnait lui-même de la force morale qui l’habitait.

Réchauffé, changé, les idées claires, il s’engouffra dans le métro et prit la direction de la gare de l’Est. De là il s’engouffrerait dans le premier train à destination de la ville de Chennevière-sur-Marnes. Retrouver le commissaire Bidaut devint dès à présent une idée fixe.

Publié dans Polars

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