(Episode 7) : Le Marquis du Val de Brume

Publié le par Denis Lereffait

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-Monsieur Dubert, commença le commissaire Lebol en prenant place sur son siège exactement à la même place que la veille. J’espère que vous allez beaucoup mieux, et qu’ainsi vous pourrez répondre aux questions que je suis venu vous poser. En tout premier lieu, pour faire suite à notre conversation d’hier, la mémoire vous est-elle revenue ?

-Non commissaire, toujours le même trou noir.

-Pa même un flash un détail ?

-Non absolument rien.

-Tant pis, pour le moment nous ferons avec. Lors de notre précédent entretient, votre docteur nous a dit ne pas avoir relevé de lésions cérébrale ou cervicales. Donc, à part l’amnésie partielle qui occulte la scène de votre agression, le reste de votre passé est encore accessible. C’est donc à cette partie de vous-même que je vais dès à présent faire appel. Connaissez-vous un certain Joë Lavano ?

-Joë Lavano vous dite… Non, ce nom ne m’évoque rien du tout.

-Son nom vous est étranger, mais peut être que son visage, lui, ne vous est pas tout à fait inconnu. Inspecteur, ajouta-t-il en s’adressant à son second, donnez-moi le dossier de Joë Lavano.

S’emparant de sa sacoche posée à même le sol, l’inspecteur principal Thomas Debast en sortie une chemise cartonnée qu’il tendit au commissaire. Ce dernier l’ouvrit, choisi une photo en pied, et la présenta au Marquis.

-Ce visage ne vous rappel toujours rien ?

-Non commissaire, rien de rien, je suis persuadé de ne jamais avoir croisé cet homme.

-Vous n’êtes pas curieux de savoir pour quel motif je vous parle de lui ?

-Vous voulez la vérité commissaire, je m’en moque comme de la guigne. Depuis un peu plus de cinq ans que je suis rangé des voitures, j’écris des livres. Je n’ai pas la prétention de me dire écrivain, mais n’empêche qu’ils ont l’air de plaire à pas mal de personnes. Tous les mois je touche un chèque substantiel qui me permet de vivre comme bon me semble à l’abri du besoin. Je sais que je ne serai jamais Victor Hugo ou Alexandre Dumas et je m’en tape royalement. Il m’est arrivé tant de choses dans la vie, que je pense pouvoir écrire encore assez de livres policiers pour vivre de mes rentes jusqu’à la fin de mes jours. Le gars sur la photo, il ne doit pas avoir plus de vingt-cinq ans ? En plus ça se trouve, il est déjà mort…

-Vous ne croyez pas si bien dire, il est mort il y a une dizaine de jours. Vous désirez savoir comment ?

-On meurt tous les jours commissaire, bientôt ce sera le mien, le vôtre… Que voulez-vous, c’est dans la suite logique des choses.

-On soupçonne son patron, un certain Victorio Penny, d’avoir commandité son assassinat. Lui, j’imagine que vous devez le connaître…

-Je connais Victorio Penny et vous le savez. Ce n’est un secret pour personne, lorsque je travaillais en cheville avec le vieux, il était sous mes ordres. C’est à lui que je dois mes neuf années d’emprisonnement. Pourtant, malgré les privations et les violences pénitentiaires, je n’ai jamais tenté de me venger une fois libéré. Tout ça c’est du passé, un passé révolu et enterré. Maintenant je suis un homme libre et intègre, et ne vous en déplaise, je compte bien le rester encore très longtemps.

-Vous ne l’avez jamais revu ?

-Pour quoi faire ? Le remercier peut être…Je ne suis pas le diable, mais je ne suis pas un ange non plus…Mais pourquoi venir me parler de tout ça ? Quel rapport avec mon agression ?

-Maximilien Forest, dit le Vieux, est décédé il a vingt et un jours. La succession est ouverte, de là à imaginer un lien de cause à effet avec votre agression…

-Oui c’est possible, tout est possible…Ce que je ne saisis pas bien dans votre raisonnement, c’est la motivation qui le pousserait à agir comme vous le supposez. Aujourd’hui je ne suis plus un danger pour lui, il sait que je ne lui disputerai jamais la succession du Vieux. Non, j’ai beau réfléchir, je ne vois pas le moindre avantage à tirer de ma mort. Je récuse aussi l’idée de la vengeance, car au pire celui de nous deux qui souhaiterait se venger, ce n’est surement pas lui.

-Donc, en résumé, selon vous, il n’existerait aucun lien entre lui et votre agression ?

-Dans la mesure où nous ne disposons pas de plus de preuves, c’est en effet ce que je crois.

Le commissaire récupéra la photo et la replaça dans la chemise cartonnée. Croisant ses jambes l’une sur l’autre, il reprit le fil de la conversation d’un air faussement détaché.

-Antoine FOREST, c’est bien le fils du frère de Maximilien FOREST ? Si je ne me trompe pas, c’est aussi votre filleul ?

-Tout juste, je suis son parrain. Pourquoi me parlez-vous de cet enfant ?

-Enfant, enfant, c’est vite dit. Au cas où votre mémoire aurait du mal à additionner les années qui passent, cet enfant vient de fêter ses dix-sept ans. Depuis quand ne l’avez-vous pas revu ?

-Attendez un peu que je réfléchisse…la dernière fois que je l’ai aperçu, il ne devait pas avoir plus que quatre ans. C’était juste avant que je ne m’envole à bord de ce fameux vol pour le Liban. Il a déjà dix-sept ans…Dieu que le temps passe vite. Je l’imaginais encore avec son visage d’enfant alors que ce doit être un homme maintenant. Il a un problème ?

-Un problème ? A peine…Toutes les polices de France et de Suisse sont à sa recherche.

-Qu’est-ce que vous me racontez là ?

-En Suisse, les autorités le recherche pour un triple meurtre ainsi que pour l’incendie volontaire de son établissement scolaire. En France c’est un peu moins grave, on le soupçonne seulement d’être à l’origine de plusieurs vols avec violence. Il a été signalé un peu partout sans que pour le moment nos services aient pu mettre la main sur lui. Le plus ennuyeux de cette histoire, c’est que dans sa cavale il a entrainé avec lui la fille d’un très gros industriel allemand. Je crains qu’avec l’argent dont dispose la famille de la demoiselle, sa tête ne soit rapidement mise à prix.

-Quelle folie a-t-elle bien pu le pousser à commettre cette erreur ? Vous pensez qu’il existe un rapport avec la mort de son oncle ?

-Allez savoir, la coïncidence me parait troublante, pas à vous ? Depuis sa plus jeune enfance les établissements scolaires où il a successivement étudié ne tarissent pas d’éloge à son sujet. L’établissement Suisse où il était inscrit était l’un des plus prisé d’Europe. Si son inscription n’a pas posé de problème, c’est que d’évidence il devait être un excellent élément. Pour ma part, si j’avais cette enquête en charge, je sais que je m’y serai surement prit bien autrement. Surtout après la découverte du corps de ce Joë Lavano…

-Encore ce Joë machin chose ! Quel rapport avec mon filleul ?

-Peut être quelque chose, peut être rien…

-Commissaire, si vous savez quelque chose, dite le moi.

-Pourquoi aiderai-je le neveu de votre ex patron, alors que vous de votre côté, vous avez toujours refusé de coopérer avec nos service ? Maintenant, si vous faisiez un geste de bonne volonté…

-Cessons de jouer à ce petit jeu ! Que voulez-vous savoir ?

-Lorsque je suis venu vous rencontrer hier, je vous ai appris que vous faisiez partie des suspects de ma toute première enquête. J’instruisais un dossier, je vous le rappelle, qui avait attrait au meurtre du Consul d’Uruguay dans sa villa de Saint Jean de Mont en 1972.

-Décidemment cette affaire tourne à l’obsession.

-C’est vrai, j’en fais une affaire personnelle. De toute ma carrière, je ne me suis jamais senti aussi humilié dans mon amour propre que dans ce dossier. A l’énoncé de votre non-lieu, je me suis solennellement juré de découvrir la vérité. Au fil des ans je l’ai senti m’échapper, j’ai même cru ne jamais la rattraper. Aujourd’hui, se présente sans doute l’unique chance de pouvoir enfin savoir ce qui s’est déroulé ce fameux soir du 19 juillet 1972. Alors croyez-moi, je ne suis pas prêt de lâcher le morceau !

-Ok, c’est de bonne guerre j’accepte le marché. Ce me dérange d’autant moins que contrairement à ce que je vous imaginiez à l’époque, je n’avais strictement rien à voir dans cette affaire. Si ma mémoire est bonne, au mois de mai 1972, le Vieux a eu vent, je ne sais de quelle manière, d’un bien étrange trafic. Le président d’Uruguay avait fait nommer quelques mois auparavant son frère cadet à la tête de son consulat en France. Il savait pertinemment que sa présence au pouvoir ne serait qu’éphémère, les Etats-Unis via la CIA lui menaient la vie de plus en plus dure. Il décida donc de monnayer un certain nombre d’appels d’offre internationaux contre des œuvres d’art de grand prix que son frère était chargé de planquer. Comme ça, lorsque la situation sentirait un peu trop le roussit, il n’aurait qu’à demander l’asile politique à la France que notre législation lui offrait gracieusement et ainsi récupérer sa fortune. Sa confiance dans la stabilité des taux de change étant des plus limités, il leur préférait, et de loin, l’or et les tableaux de maitre qui s’échangeaient toujours au meilleur prix. Aidé par Simon le Manchot et de Bobby la Fouine, le Vieux a organisé le pillage en bonne et due forme de sa planque. Comme logiquement cette fortune ne devait pas se trouver là, impossible de porter plainte pour vol. Du reste je me souviens que vous aviez mené une enquête de très bonne facture, malheureusement pour vous, vous vous acharniez à prouver ma participation alors que je n’y étais physiquement même pas. Mon alibi en béton a suffi devant le tribunal pour m’assurer la relaxe pour non-lieu. Par la suite, le président d’Uruguay décéda tragiquement dans un attentat aussi bizarre qu’obscure. La boucle étant bouclée, personne jusqu’à ce jour compris ce qui c’était réellement déroulé cette nuit-là.

-Alors qui a tué le consul ?

-C’est la Fouine qui l’a dessoudé. Fidèle à ses habitudes, le Vieux ne voulait surtout pas d’effusion de sang. L’accident s’est produit lorsque la Fouine se prit les pieds dans le tapis. Il était en train de menacer le Consul de son arme pendant que le Manchot dévalisait la chambre forte, en trébuchant le coup est parti tout seul. Voilà commissaire, vous savez tout, à votre tour maintenant de me parler de mon filleul.

-Vous avez respecté votre parole, il ne serait pas dit que je manquerai à la mienne. La police Suisse, ainsi que bon nombre de policier français, n’a jamais entendu parler de Maximilien Forest. Dans de telles conditions, hors de question pour eux de faire un quelconque lien entre sa mort, la tuerie de l’établissent privé de Neuchâtel et la disparition suspecte du jeune Antoine Forest accompagné de sa petite amie Sophie Brida. Leur fuite les désigna immédiatement comme les coupables idéaux, pourtant moi je suis persuadé qu’il n’en était rien. Pire, je suis quasi certain qu’ils sont eux même en danger de mort. Maximilien, de son vivant était la prudence même, sur ce point je pense que je ne vous apprends rien. Il a surement tenu à ce que son seul et unique parent, son neveu Antoine, ne manque de rien. C’est aussi ce qu’a du déduire Victorio Penny, son successeur à la tête de la bande, qui n’aimerait sans doute pas voir partir une belle partie de la fortune en héritage. Le corps de Joë retrouvé à proximité d’une maison de retraite incendié vient confirmer la théorie. Deux adolescents ressemblant à Antoine et Sophie ont été signalés. Comme par hasard, les hommes de Victorio sous les ordres de Joë arrivent peu de temps avant la police et font un massacre. Je me pose la question suivante : pourquoi poursuivraient-ils le neveu de Maximilien si ce n’est pas pour lui faire la peau ?

Le Marquis réfléchi à toute vitesse. Dans quel que sens qu’il prenait le résonnement de ce commissaire, immuablement il parvenait à la même conclusion que lui. Non seulement Antoine était le neveu du Vieux mais c’était aussi et surtout son filleul. En homme d’honneur, il connaissait les obligations et les devoirs qui découlaient naturellement de son rôle de parrain.

-Commissaire juste une question. Ici, dans cette chambre, suis-je entendu comme suspect ou comme simple témoin ?

-Comme témoin.

-Dans ce cas je suis libre de mes mouvements ?

-Ca va de soit. Toutefois, je vous rappelle que votre état de santé vous limite au périmètre de cet étage du moins provisoirement.

-J’ai remarqué un policier en faction jour et nuit devant ma porte, est-ce indispensable ?

-Indispensable dites-vous…Tout dépend de la définition que vous portez à ce mot. Pour moi, après trois tentatives de meurtre, je dirai plutôt recommandable.

-Si je devais décider de quitter cet établissement, vous continueriez à me protéger ?

-Dans la mesure où vous le souhaiteriez, oui, sinon non. On ne peut toute même pas obliger les gens à vivre… Pourquoi attacherions-nous plus d’importance à votre vie que vous ne lui en accorderiez vous-même ? En votre qualité de témoin et victime, vous bénéficiez de plein droit d’une protection rapprochée, un droit que vous pouvez très simplement refuser, bien que personnellement je vous le déconseille fortement.

-J’ai bien compris commissaire. Cependant malgré votre insistance, je renonce à ce droit, et ceci à l’instant même où je franchirai le seuil de cette clinique.

-Inspecteur Dubast, je vous prie de consigner que Monsieur Edouard Dubert, ici présent, renonce à son droit de ce faire protéger. Et bien voilà, j’imagine que nous nous sommes tout dit, l’inspecteur et moi allons vous laisser vous reposer. Bien entendu, si un détail quelconque au sujet de votre agression vous revenait en mémoire, n’hésitez pas à nous le faire savoir.

-Au revoir commissaire.

-Au revoir Monsieur Dubert.

Les deux hommes sortirent d’un même pas de la chambre. Contrairement à la veille, l’infirmière en chef n’avait pas assisté à leur entretien. Quelque part, peut-être pas loin, son filleul avait besoin de lui, son devoir lui imposait de faire le maximum pour lui venir en aide.

De jours en jours, d’heures en heures, son état de santé ne cessait de s’améliorait mais de là à quitter la clinique…Depuis son admission, où plutôt sa sortie du coma il n’avait toujours pas remit un pied par terre. Contractant ses abdominaux, il s’aida de ses deux mains pour tenter de s’assoir. Par trois fois ses tentatives se soldèrent par un échec. Enfin, à la quatrième, il trouva un équilibre tout ce qu’il avait de plus provisoire lui permettant de rester assis. Malheureusement très vite la tête lui tourna. De manière dérisoire, il ferma les yeux pour essayer de fuir cette vision de cauchemar.

Pivotant lentement son bassin, il tenta de faire abstraction de la brusque douleur qui naquit de ses reins pour monter jusqu’à la racine de ses cheveux. Courageux, pour ne pas dire téméraire, le Marquis s’apprêtait à poser le pied au sol lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit sur le visage contrarié de l’infirmière en chef. Transpirant à grosse goutte, il tourna vers elle un faciès torturait de mille mots. Fort mécontente, elle se précipita immédiatement au-devant de lui.

-Monsieur Dubert êtes-vous devenu fou.

-Il faut que je quitte votre clinique tout de suite, aidez-moi…

-Non Monsieur Dubert, hors de question que je vous aide, sauf pour vous recoucher. Avez-vous vu dans quel état vous vous mettez, vous ne pourriez pas faire un seul pas sans vous écrouler sur le carrelage. Je vais appeler de l’aide pour qu’on vous remette dans votre lit.

-N’appelez personne je vous en conjure. Si je ne quitte pas votre clinique tout de suite, ils vont tirer mon filleul comme un lapin…

-Moi tout ce que je sais, lui répondit gentiment mais fermement l’infirmière ne chef, c’est que si je vous laisse sortir dans cet état, vous décéderez. Je suis sincèrement désolée, mais mo devoir m’interdit de vous autorisez cette folie. Tant que vous serez ici, dans cette chambre, votre vie et votre état de santé général dépendent de moi, lui précisa-t-elle en appuyant sur le contact de la sonnerie de secours qui reliait la chambre à la salle de garde.

Dans l’instant suivant, deux infirmiers taillés comme des armoires normandes firent irruption dans sa chambre.

-Mais merde, s’emporta-t-il brusquement, est-ce que vous allez m’écouter une seconde !

-J’ai bien peur que non, monsieur Dubert, mais plus tard, lorsque vous serez reposé, je vous promets que nous en reparlerons. Ne me regardez pas ainsi, je ne songe qu’à votre santé.

Fermement mais sans violence, les deux infirmiers forcèrent le Marquis à reprendre une station allongée. Le peu de résistance qu’il tenta de leur opposer ne fit rien d’autre que de l’épuiser un peu plus. Au bord de l’évanouissement, il trouva pourtant encore les ressources d’articuler d’une voix légèrement chevrotante.

-Il va mourir… Vous n’avez pas le droit de me retenir ici contre mon gré, je porterai plainte…

Il aurait aimé continuer à vociférer pour se faire entendre, malheureusement l’effet de l’injection qu’on lui administrait dans le bras gauche l’endormit sur le coup.

Avant de sortir de a chambre comme venait de le faire avant elle les deux infirmiers, elle se retourna une dernière fois pour regarder le visage du Marquis. En voyant ses traits déformés par la douleur, elle se mordit la lèvre nerveusement. D’expérience, elle savait l’effort surhumain dont il avait du faire preuve pour réussir à s’assoir tout seul au bord de son lit. Sa conscience lui affirmait qu’elle avait fait pour le mieux dans l’intérêt du patient, tandis que son cœur lui, devinait que par son geste elle venait peut être de condamner à une mort certaine ce jeune homme qu’il aurait sans doute put sauver.

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Publié dans Polars

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