(Episode 11) : Le Marquis du Val de Brume

Publié le par Denis Lereffait

Victorio Penny, installé bien confortablement au creux de son fauteuil préféré, attendait avec impatience l’appel téléphonique d’Alexandro. De ses doigts mal dégrossis, il pétrissait nerveusement une balle de mousse pour évacuer un stress croissant. Dix-huit heures trente n’allait plus tarder de sonner au carillon de l’horloge du salon. A moins qu’Alexandro ne tente une fois de plus de jouer avec ses nerfs, il avait dès à présent une demi-heure de retard sur l’horaire qu’il avait lui-même fixé. Son expérience lui criait que ça ne sentait pas très bon. Il se dit qu’il avait bien eu raison de se montrer méfiant en ayant doublé le nombre de gardes à l’intérieur comme à l’extérieur. Ce sentiment se vit renforcer lorsque Moralès, son second depuis le décès de Joë, après avoir frappé à sa porte lui apprit qu’on signalait une voiture au portail.

-Assure-toi qu’ils viennent en amis. Quand ce serait fait, veille à ce qu’ils me rejoignent au premier dans mon bureau.

-Bien patron.

De petite taille, les cheveux noirs coupé très court, Morales tourna les talons pour aller distribuer les ordres. De nouveau seul dans la bibliothèque, Victorio Penny se demanda pourquoi il n’avait pas songé plus tôt à remplacer Joë par Morales. Non seulement il ne discutait pas sans cesse, mais en plus il était d’une efficacité bien supérieur.

Cette voiture, qui s’annonçait à la grille de sa villa ne pouvait être que celle d’Alexandro, il en était certain Ce qu’il saisissait mal, c’est la raison qui l’avait poussé à renoncer à utiliser le téléphone comme convenu. Le plus simple étant de lui poser la question, Victorio Penny se leva de son fauteuil et emprunta l’escalier qui le mènerait au premier étage. A peine la porte se refermait derrière lui que des bruits de pas se firent entendre dans les couloirs de rez-de-chaussée.

Victor Penny, sans redouter outre mesure Alexandro, se méfiait de lui et de son sadisme. Leur précédente rencontre lui avait du reste servi de leçon, il ne se laisserait plus prendre au dépourvu aussi naïvement. Des éclats de voix retentirent brièvement derrière la porte, suivis de près par un étrange silence. Un étrange silence qui se vit troubler par quatre coups secs frappés à la porte. Il s’assura de son arme dissimulée sous le plateau de son bureau puis les autorisa à entrer. Moralès précéda Alexandro et son garde du corps, le gigantesque Dino. Cette visite n’ayant sans aucun doute rien d’amical, il ne se leva pas de son siège pour aller saluer les nouveaux arrivants. Une seule chaise étant disponible dans la pièce, mis à part celle occupée par le maître de maison, Alexandro y pris place. Dino se figea immédiatement à sa droite. Morales contourna le bureau de son patron et fit de même.

-Victorio, il faut que l’on parle entres hommes. Dis à ton nain de jardin d’aller prendre l’air dehors !

-C’est ça, pour que je reste en tête à tête avec toi et Rambo !! Entre nous, Alexandro, t’as fait l’école du rire ?

-Si tu cherches à me provoquer, continue lui répondit froidement Alexandro sans se départir une seul seconde de son sourire sadique au coin des lèvres.

-Non, je cherche simplement à te rappeler que tu te trouves sous mon toit ! Mes hommes sont un peu nerveux, depuis qu’ils ont dut creuser dans le jardin pour enterrer quelques uns de leurs camarades. C’est du passé à présent, nous n’en reparlerons plus, sauf bien entendu si tu insistes…. Saches que tu n’es pas les bienvenus, pour eux comme pour moi. Dis-moi, tu ne devais pas me téléphoner à la place de venir ?

-Nous y viendrons plus tard, maintenant tu te tais, c’est moi qui pose les questions. Tu as des nouvelles de la Marmotte ?

-Je suis parvenu à le contacter ce matin de bonne heure. Il nous attend ce dimanche à quinze heures très précise pour la lecture du testament.

-Tu lui as parlé de moi ?

-Non pourquoi, j’aurai dut ?

-Tu as bien fait Victorio, j’aime autant ne pas être attendu. J’apprécie que tu utilises enfin tes méninges. On finira par faire quelque chose de toi, si mes chiens ne te mangent pas…

-Vraiment très amusant !

-Ton doigt ne te fais pas trop souffrir j’espère ? J’allais oublier, mes chiens ont beaucoup apprécié l’intention de cet amuse-bouche, tu es vivement attendu dans leur chenil.

-Tu tiens tellement à m’insulter chez moi ?

-Non seulement à te rappeler ce qui pourrait t’arriver si tu décidais de me doubler. Bien entendu, ce n’est pas le cas ?...

-Attends un peu Alexandro, si tu as quelque chose à me reprocher, je te conseil de cracher le morceau tout de suite. Je commence à en avoir plein le cul de tes sous-entendus de merde.

-Tes états d’âme je m’en balance carrément connard, si j’ai pris la peine de me déplacer ce n’est sûrement pas pour des prunes. Réponds-moi franchement Victorio, est-ce que c’est toi qui a essayé de me doubler cet après-midi ?

-Décidément, j’ai pas l’impression que l’on vit tous le deux sur la même planète. Tu me parles de quoi au juste ?

-Je te parle du Marquis.

-Ça c’est ta partie, pas la mienne. Tu dois te charger de lui pour nous assurer de sa présence en Floride pour le rendez-vous de la Marmotte. C’est pas vrai, je commence à comprendre, à moitié mort il est parvenu à échapper à tes troupes d’élites… Si tes gars ne parviennent pas à rattraper un fauteuil roulant, ton avenir s’annonce bien triste…

-J’en conclu que ce n’est pas toi qui a envoyé une équipe dans une Audi pour me mettre des battons dans les roues.

-Et de voir le Marquis se faire descendre et mon pognon distribuer à des œuvres de charité ? Je me demande de plus en plus ce que le Vieux pouvait bien te trouver pour monter ce fameux coup avec toi !

-Tu peux pas comprendre, il faudrait que tu possèdes un cerveau pour y arriver… Tu me dis que c’est pas toi OK, je vais sûrement t’étonner mais je te crois sur parole. Maintenant ça me pose ou plutôt ça nous pose un problème de taille. Qui a bien put envoyer ce commando aux basques du Marquis et pourquoi ? Tu as une idée ?

-Là tu me poses une sacré colle ?

-Celui que tu appelles la Marmotte, c’est un gars dont tu es sûre ?

-On voit bien que tu ne le connais pas. Ce mec ce n’est pas n’importe qui, si il le voulait, nous serions tous les deux morts depuis longtemps.

-Ça a l’air facile de t’impressionner…

-Autant que pour d’autre de parler de ce qu’ils ne connaissent pas…

-Bon ce n’est pas grave, on va trouver l’enfant de salaud qui a essayé de nous mettre des bâtons dans les roues. Si pour ton malheur j’apprends que tu étais dans le coup, j’irai te chercher au bout du monde pour te le faire payer le prix fort. Il nous reste un problème sur les bras, je veux bien sûre parler du Marquis. Déjà que je n’aime pas prendre l’avion, alors si c’est pour rien…

-Je peux te poser une question ? lui demanda Victorio Penny l’œil brillant.

-dis toujours…

-Quand j’ai tenté de faire abattre le Marquis, ils l’ont changé d’hôpital sans que j’arrive à savoir où ils l’avaient transféré pour le planquer. Si tes gars l’ont poursuivi, tu savais donc où ils le cachaient. Comment t’y es-tu pris pour obtenir ce renseignement alors que moi qui arrose la police depuis des lustres, je n’y suis pas parvenu.

-On a tous nos petits secrets Victorio.

-Sans déconner… A ta place je retournerai voir mon indic pour essayer de savoir sil il n’a pas tenté de monnayer ses secrets auprès d’autres que toi. Une fuite n’est jamais accidentelle, il a surement tout plein de choses intéressantes à te raconter, pour peu que tu lui parles gentiment…

-J’ai confiance en lui.

-C’est aussi ce que se disait Kennedy le jour où à Dallas, ils l’ont transformé en passoire.

-Ta gueule !

-Moi, ce que j’en dis…

-J’ai dit ta gueule ! Tu vas t’organiser pour nous réserver des places sur un vol transatlantique à destination de la Floride pour Samedi soir. Un de mes hommes va rester près de toi pour s’assurer de ta bonne volonté. J’avais bien pensé que Dino ferait l’affaire, mais je vais changer mes plans, j’ai encore trop besoin de toi vivant et entier. Sur le vol, tu prendras une place pour toi et deux pour moi et Dino.

-Si tu veux faire partie du voyage, Morales doit en être aussi. C’est à prendre ou à laisser.

-Victorio…

-N’uses pas de ce ton menaçant avec moi Alexandro, souviens toi que c’est toi qui a besoin de moi, pas le contraire… Rien ne m’oblige de te donner une part du gâteau du trésor du vieux.

-Tu as raison Victorio. Dans ce cas saches aussi que si je n’avais pas tant besoin de cet argent, je t’aurai déjà buté avec un immense plaisir. Toi et ta joyeuse bande de décérébrés à la mors moi le nœud.

-T’as fini ton spitch ?

-Fait pas chier avec tes manières à la con. Demain Samedi je t’appelle à dix heures, tu as intérêt à avoir les quatre billets.

-T’es en train de me dire qu’en plus je dois payer pour toi et Rambo ?

-T’es un petit futé toi... Ironisa Alexandro en se relevant de son siège. N’oublies pas, demain dix heures tapante…

Alexandro précédé de son garde du corps Dino, quitta la pièce sans ajouter la moindre parole. Enervé, Victorio Penny s’empara d’un crayon à papier et le brisa en deux. Alexandro avait raison, il s’occuperait de tout, mais à sa manière, une manière qui ne devrait sûrement pas le remplir de joie. Il se tourna vers son garde du corps.

-Morales, que cinq hommes prennent le premier vol pour la Floride. Avant leur départ tu me les enverras, j’ai une petite mission à leur confier.

-Tout de suite patron.

A son tour Morales quitta le bureau en laissant Victorio Penny tout seul. Si Alexandro croyait le tenir par les couilles en le menaçant de mort, il n’allait pas être déçu. Personne ne venait le menaçer impunément chez lui, lui pas plus qu’un autre !! Les années passées auprès du Vieux lui avaient beaucoup appris, tout comme ça lui avait permis de se tisser un énorme réseau de solides relation. Longtemps il avait rendu services sur services sans jamais rien demander en échange, aujourd’hui il allait leur demander de lui renvoyer l’ascenseur.

Alors qu’il s’apprêtait à savourer d’avance sa victoire, pour ne pas dire sa vengeance, quelqu’un dans le couloir frappa à sa porte. Machinalement il cria d’entrer à son visiteur croyant qu’il s’agissait de Morales. Tout en prononçant ces quelques mots, il se leva de son fauteuil pour aller se servir un double bourbon avec de la glace. Dans cette position, il tournait le dos à la prote. Il ne vit donc pas que son visiteur ne ressemblait en rien à son garde du corps. Lorsqu’il se retourna pour lui demander ce qu’il voulait, il s’étrangla presque en ne reconnaissant dans les traits de son visiteur aucun des membres de son équipe.

Grand, blond, les yeux bleu inquisiteurs, il le dévisageait en silence l’air très supérieur.

-Qui t’es toi ? Qui t’as permis d’entrer dans mon bureau conard ? L’insulta-t-il en colère.

-A la première question je répondrai que je m’appelle David. Monsieur Alexandro m’a dit de rester près de vous afin de veiller au bon déroulement de son plan. En ce qui concerne la seconde question, j’ai simplement frappé à la prote et une voix que je crois être la vôtre m’a invité à entrer, lui répondit-il d’une voix méprisante.

-Alors comme ça t’es chargé de me surveiller, répéta Victorio Penny en détachant bien chaque syllabe puis il se rassit derrière son bureau. J’aime pas qu’on me colle au cul quand je vais pisser. T’es pédé ?

-Comment ?

-T’es sourd ou quoi ? Je te demande si t’es pédé ? Je préfère le savoir maintenant car si tu dois me coller au cul jusqu’à dans mon lit, ça va me gonfler sérieux !! Je suppose que si j’ai un message à faire passer à Alexandro, c’est à toi qu’il faut que je m’adresse ?

-Oui, je suis aussi chargé des messages.

-Parfait, dans ce cas j’en ai tout de suite un pour lui connard…

En prononçant cette dernière insulte, Victorio Penny fit apparaître un colt dans sa main et appuya aussitôt sur la détente. Sans avoir eu le temps d’esquisser le moindre mouvement pour se défendre, David parti en arrière tandis qu’un trou béant auréola le centre de son front. Insensible aux soubresauts qui secouaient le corps encore tiède de l’homme d’Alexandro, il décrocha son téléphone et composa un numéro à destination des Etats Unis. A la quatrième tonalité, une voix rocailleuse lui répondit.

-Ouais ?

-Je voudrais parler à Antonio Rallia.

-De la part ?

-Victorio Penny de Paris.

-Bougez pas, je vais voir s’il veut bien vous parler.

Pas plus d’une dizaine de secondes s’écoulèrent avant que la voix d’Antonio Rallia résonne dans le combiné téléphonique.

-Victorio mon ami, je suis heureux de t’entendre. Que puis-je faire pour toi ?

-J’ai des soucis mon ami, voilà ce que j’attends de toi…

Publié dans Polars

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