(Episode 9) : Le Marquis du Val de Brume

Publié le par Denis Lereffait

-Vous vous sentez toujours bien ?

-Pour le moment ça va merci.

-J’ai pris sur moi de vous faire appeler un taxi, il ne devrait plus tarder. Le commissaire va sûrement faire surveiller les alentours de votre domicile. Vous savez où aller ?

-Ne vous inquiéter donc pas tant pour moi, je suis un homme plein de ressource.

-Vous avez de l’argent aussi ?

-J’ai retrouvé mon portefeuille dans mes affaires, j’ai assez de liquidités pour voir venir.

Elle le prit par le bras et l’accompagna jusqu’à la porte d’entrée. Au même moment un taxi vint stationner à proximité.

-Mon chauffeur vient d’arriver. Encore merci pour tout.

-Vous vous rappellerez pour mon frère…

-Une promesse est une promesse, vous pouvez me faire confiance. C’est quoi votre prénom ?

-C’est Marine.

-C’est très jolie, il vous va bien. Marine, je prie pour qu’un jour prochain nous puissions nous revoir tous les deux, évidement dans d’autres circonstances…

-Moi aussi, j’aimerai bien. Allez dépêchez-vous, sinon votre taxi va finir par s’impatienter.

Le temps de lui jeter un dernier regard, le Marquis franchit la porte et s’installa aux places arrière du taxi.

Au chauffeur qui effectivement commençait à s’impatienter, il lui commanda de le conduire à l’aérodrome le plus proche. Avant que ce dernier daigne démarrer, le Marquis dut lui prouver qu’il avait assez d’argent pour lui régler la course. Lorsqu’enfin le chauffeur se mit à rouler, il ne s’intéressa pas le moindre du monde au monologue entamé par le conducteur de taxi au sujet des chèques sans provisions, pas plus qu’il ne s’intéressa à l’itinéraire emprunté. Non, pour le moment la seule et unique chose qui monopolisait toute son attention, c’était la lunette arrière du véhicule dans lequel il circulait.

Plus que la lunette elle-même, il s’attachait à suivre du regard à travers elle, les autres voitures qui choisissaient de suivre le même itinéraire qu’eux. Au troisième carrefour, seul deux voitures restaient encore dans leur sillage. Dévisageant rapidement du regard le conducteur de la voiture située immédiatement derrière eux, il ne lit sur son visage que de la lassitude. Seul à bord de son véhicule, le Marquis eut bien du mal à voir en lui un danger potentiel, d’autant plus qu’il lui semblait pour le moins chétif.

Brusquement le taxi ralentit puis s’immobilisa. Inquiet de cet arrêt intempestif, il se retourna pour en découvrir la cause. Pas la trace du moindre danger, il ne s’agissait tout bonnement que d’un feu rouge. Celui-ci s’éternisant, il se retourna de nouveau vers l’arrière. C’est à ce moment précis qu’il put enfin détailler les occupants de la seconde voiture. A la vue de ses quatre occupants aux visages patibulaires, son sixième sens sonna le clairon. Bons ou méchants, flics ou voyous qu’importe qui ils étaient, ils ne lui inspiraient vraiment pas confiance. A cet instant le feu dut passer au vert, car le taxi reprit de la vitesse. Sagement, la voiture suspecte se laissa dépasser par une berline de marque allemande sans pour autant se faire distancer.

Ce n’était pas la première fois de sa vie que le Marquis se voyait exposé à ce genre de situation. L’expérience aidant, il savait comment il devait se comporter. Sa décision prise, il reporta toute son attention sur la route et la circulation assez fluide de ce début d’après midi. Silencieux, aux aguets, le Marquis laissa passer plusieurs rues avant de se jeter son dévolu sur l’une d’elle.

-Chauffeur prenez à votre gauche tout de suite !

-Mais ce n’est pas le chemin de l’aérodrome, protesta le conducteur du taxi qui ne comprenait pas le brusque changement de comportement de son passager.

-J’ai dit tournez à gauche, insista cette fois-ci plus que fermement le Marquis.

-C’est bon, ne vous énervez pas, après tout vous êtes le client, c’est vous qui payez.

Prudemment, bien trop prudemment même au goût du Marquis, le chauffeur ralentit, mit son clignotant et tourna à gauche. Aussitôt, la suivant comme son ombre, la voiture suspecte que le Marquis avait remarqué, fit de même. Encore un changement de direction et il en aurait le cœur net.

-Maintenant tournez à droite !

-Mais à quoi vous jouez à la fin ? Cette route va à l’opposé de l’aérodrome.

-Ne posez pas de questions et cette fois pas de clignotant, c’est compris ?

-Et puis quoi encore ?... Vous ne voulez pas non plus prendre le volant à ma place pendant que vous y êtes ?

-Si vous tenez à la vie, je vous conseille de faire exactement ce que je viens de vous dire ;

-Je vous préviens si c’est pour me prendre ma caisse, je suis ceinture noire 1er Dan de judo !

-Gardez votre salive, vous raconterez votre vie aux quatre gars qui nous suivent dans la BMW grise. J’espère que vos menace les impressionneront, sinon je ne donne pas chère de votre peau.

-Pourquoi est-ce qu’ils nous suivent ? Le questionna le chauffeur d’une voix inquiète tout en faisant virer brutalement sa voiture sur la droite sans mettre son clignotant.

-Si vous êtes curieux, vous n’avez qu’à vous arrêter et leur poser la question…

-Attendez, attendez, répéta le chauffeur presque en bégayant. Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce qu’ils vous veulent, mais moi j’ai une famille à nourrir.

-Des enfants ?

-Oui un garçon et deux filles.

-Dans ce cas à votre place j’appuierai  fond sur l’accélérateur pour essayer de semer la BMW. A moins, bien sûr que vous préféreriez faire trois orphelins…

Le Marquis ne sut jamais si c’était de la peur de la mort ou la vision de ses trois enfants devenant orphelins qui le décidèrent, toujours est-il qu’il écrasa d’un coup la pédale de l’accélérateur. La Peugeot 406 dans laquelle ils se trouvaient bondit littéralement. Sous le coup de l’accélération, le Marquis fut projeté violemment dans le siège arrière. Une douleur vive le traversa au niveau des reins. Les quatre heures de sursis dut aux injections de l’infirmière venaient de cesser leur effet. Grimaçant, il serra les dents pour étouffer la plainte qui lui montait aux lèvres. Le chauffeur du taxi était suffisamment paniqué pour ne pas qu’il en rajoute en exprimant tout haut ce qu’il ressentait. D’une main tremblante, il ouvrit la boite de gélules censées calmer sa douleur et en avala deux. L’infirmière ne s’était pas moquée de lui, après un court instant euphorique, il ne ressenti plus aucun symptôme émanant de sa blessure.

La peur transcendait le chauffeur de taxi. Virant tantôt à gauche, tantôt à droite, il semait lentement mais sûrement la voiture de leurs poursuivants. Une inquiétude troubla le Marquis, la ville bien qu’importante dans cette région, n’était pourtant pas très étendue. Une fois dépassée la limite de ses faubourgs, les routes départementales favoriseraient la puissante voiture Allemande. Il en avisa aussitôt le conducteur.

-Ne sortez surtout pas de limites de la ville tant qu’ils nous poursuivent, sinon il a coup sûre ils vont nous rattraper.

-Vous me prenez pour qui ? Je connais ma voiture sur le bout des doigts, je sais parfaitement qu’elle est bien moins puissante que la leur. A la périphérie de la ville, il y a un gigantesque centre commercial en construction. Là-bas, je les sèmerai sans problème.

-Vous connaissez bien ce chantier ?

-J’habite juste à côté. Depuis le temps qu’ils me gonflent avec leurs travaux, c’est justice qu’ils me donnent un coup de main.

-On en est encore loin ? Insista le Marquis que ces changements de direction incessant projetait de droite à gauche.

-On y sera dans moins de cinq minutes, après ce sera du gâteau.

La voix du chauffeur s’assurait, il refoulait sa peur. Il lui semblait même maintenant y discerner de l’excitation, mieux il jubilait. Oui, c’est ça, il jubilait, le chauffeur du taxi aimait cette situation. Devant la peur de la mort, chacun décide de sa conduite à tenir, certain pleurent, d’autres se résignent, lui il se révoltait.

-On ne va plus tarder à y être, vous voyez c’est là-  bas de l’autre côté du pont.

Le Marquis suivit du regard le doigt tendu du chauffeur. Effectivement, à un peu plus d’un kilomètre, située sur la rive opposée à la leur, un nombre important de grues signalait le chantier du futur centre commercial de cette région. Prenant un virage serré, le conducteur du taxi lança sa voiture sur une route composée essentiellement de terre en très mauvaise état. Longeant un bras d’eau de taille conséquente, le chemin par endroit était complètement défoncé par les passages répétés des camions à longueur de journée. Le Marquis se cramponna fermement, la Peugeot rebondissait dangereusement de bosses en ornières.

Soucieux de savoir comment se comportaient leurs poursuivants, le Marquis se retourna plusieurs fois. Le nuage de poussière soulevé par les roues arrières du taxi l’empêcha de pouvoir bien les discerner. De temps en temps, il apercevait fugitivement un morceau de carrosserie de la BMW grise qui tentait de prendre de la vitesse. Le terrain ne les favorisait pas non plus, il pouvait se remettre dans le sens de la route sans craindre de les voir revenir à leur hauteur. Enfin, alors qu’il croyait que l’éternité ne suffirait pas pour rejoindre l’entrée du pont, il apparut devant eux. Un soupir de soulagement commun se fit entendre dans la voiture.

Malheureusement ils n’étaient pas au bout de leurs surprises. A moins de quatre cent mètres de l’entrée du fameux pont, un panache de poussière signala l’arrivée d’un troisième véhicule. Roulant elle aussi à grande vitesse, cette voiture roulait sur une route perpendiculaire à leur qui rejoignait aussi l’entrée du pont.

-C’est quoi ça ? Interrogea à haute voix le chauffeur de taxi qui avait bien du mal à conserver sa voiture sur la route défoncée.

-Aucune idée, lui répondit sincèrement le Marquis. La route qu’ils empruntent mène elle aussi au pont ?

-Oui, mais ils roulent en contre sens de la circulation des camions. Ils sont complètement fous !!...

Ou trop pressé de nous rattraper, pensa le Marquis en prenant bien soin de garder sa dernière réflexion pour lui. D’un coup il eut l’impression que leur voiture s’avançait plus. De manière totalement irréelle, il trouvait que tout se déplaçait avec rapidité sauf eux. Ce sentiment fugace ne prit fin que lorsqu’à une centaine de mètres devant leur voiture, l’entrée de la voie qui traversait le pont prit forme. Ses yeux calculaient la distance qui séparait chacun des véhicules, il en déduit rapidement qu’à la vitesse où ils roulaient, la voiture inconnue qui tentait de leur couper la route par la droite était en avance sur la leur.

-Accélérez bon Dieu, se révolta le Marquis verbalement auprès du chauffeur du taxi.

-Mais putain, qu’est-ce que vous croyez que je fais !!! C’est un taxi, pas une voiture de sport…

Le Marquis comprit vite que son énervement ne le mènerait à rien, il se força donc à se taire. Néanmoins, même silencieux, il bouillait d’échouer si près du but. La voiture de manque Audi qui n’allait plus tarder à leur couper la route devait posséder une vingtaine de mètres d’avance. Alors que le Marquis pensait avoir définitivement perdu la partie, un camion surgit de nulle part.

Publié dans Polars

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