(Episode 2) Le Marquis du Val de Brume

Publié le par Denis Lereffait

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Antoine pénétra dans le café et rejoignit Sophie qui l’attendait patiemment à la table du fond. Guettant son entrée, elle poussa un soupir de soulagement et lui sourit. De longues minutes elle avait craint qu’il ne revienne pas. A force de fuir ainsi depuis maintenant quatre jours, elle finissait par avoir peur de tout, même de son ombre. Il dut le comprendre car lorsqu’il s’assit face à elle, il lui caressa tendrement la joue de la paume de la main.

L’ambiance de ce minuscule café restaurant situé en périphérie du centre-ville était discret à souhait. En ce lieu, personne ne s’interrogeait sur la présence d’untel ou untel, seul prévalait la tranquillité. Pour preuve cet endroit ne comptait ni jeux vidéo, juke-box, la jeunesse bruyante n’était visiblement pas la bienvenue.

Le jeune couple en cavale considérait leur nouvelle situation avec philosophie, au moins ils étaient encore en vie. Jetant un regard circulaire dans la petite salle, Antoine se dit qu’ils étaient bien loin des cybers-cafés qu’ils côtoyaient régulièrement avant. Avant…Ils fuyaient la ville de neufchâtel depuis à peine quatre jours, pourtant ils leur semblaient avoir quitté la Suisse depuis une éternité. Prenant sans cesse les chemins de traverse, ils avaient contourné toutes les agglomérations importantes de la région. A cette époque de l’année, les nuits étaient très froides. La pire des quatre, ils l’avaient connu la veille, cette nuit-là les avait forcé à dormir dans les bois de Chanoi, juste à proximité des camps militaires du Valdahon.

Ce matin ils savouraient d’être enfin arrivés dans la ville de Besançon. Ils espéraient avoir semé leurs poursuivants en se mêlant à la foule toujours nombreuse qui fréquentait ses faubourgs.

-Tu as réussi à sortir de l’argent avec ta carte bleue comme tu le voulais ?

-Oui, lui confirma-t-il à voix basse, ils n’ont pas bloqué mon compte. Avec les deux cent euros qui sont maintenant au fond de ma poche, nous allons pouvoir acheter en toute discrétion deux billets de train pour regagner Paris. Là nous irons rencontrer ce commissaire de police afin qu’il nous indique comment parvenir à retrouver l’ami de mon oncle. Sous sa protection, il m’a toujours affirmé que je ne risquerai rien.

-Et s’il était mort lui aussi ?

-J’essaye même pas d’y penser, il faut absolument qu’il soit en vie !

Sophie n’insista pas, superstitieuse, elle ne voulait surtout pas attirer le mauvais sort sur eux. Il s’acharnait déjà bien trop sur eux à son goût, et préférait qu’il les oublie au moins un temps. Inclinant la tête, elle regarda pensivement les reliefs de son petit déjeuner frugal.

-J’ai dévoré comme une vrai goinfre, tu ne prends rien ?

-Merci non, à proximité du distributeur il y avait une croissanterie, j’en ai profité.

-Si nous devons prendre le train comme tu le dis, ne crains-tu pas qu’on sente un peu mauvais ?

-Tu as raison, je me sens sale exactement comme toi, j’ai l’impression du puer le bouc à vingt mètres à la ronde. En attendant je me résigne en me disant que demain nous prendrons une bonne douche avant de dormir dans un bon lit. Si ça peut te soulager du regard des autres, tu n’as qu’à faire comme moi, c’est une solution de fortune qui en vaut bien une autre. Dis-toi que si nous prenions une chambre d’hôtel dans cette ville, nous ne disposerions plus d’assez d’euros pour acheter nos billets de train.

Comprenant qu’il exprimait la seule bonne conduite à suivre, elle n’insista pas. Antoine régla les consommations puis ils sortirent dehors main dans la main. Prudents, ils évitèrent les artères importantes de la ville, leurs préférant les petites rues discrètes que la majorité des habitants empruntaient peu. De cette manière ils gagnèrent le centre-ville où ils savaient trouver le terminal de la gare centrale.

Comparé au début de journée, Antoine constata une activité policière importante, ce déploiement de forces ne lui disait franchement rien qui vaille. Longeant les vitrines la tête basse, l’un comme l’autre ne furent pas mécontents d’atteindre le hall de la gare sans avoir à répondre à un quelconque contrôle d’identité. Jetant un furtif coup d’œil sur sa droite, Antoine aperçut ce qu’il cherchait du regard. Entraînant Sophie à sa suite, il allait s’y diriger d’un bon pas quand un groupe de quatre loubards leur coupa la route. Dans leur blouson de cuir mal entretenu, les quatre jeunes adultes visiblement désocialisés, dont l’âge du plus vieux devait culminer aux alentours d’une vingtaine d’année, n’inspiraient pas vraiment confiance. Le plus petit de ce groupe se détacha des trois autres pour venir se planter à moins d’un mètre du jeune couple.

-Bonjour, leur lança-t-il presque amicalement.

Désireux d’éviter les problèmes à tout prix, Antoine décida de lui répondre en usant de la même politesse. Après tout, pensa-t-il, ils ne désiraient peut être qu’une simple cigarette.

-Bonjour.

-He les gars, vous entendez ça, sympa je lui dis bonjour et lui il me répond direct va te faire mettre le nain ! Cria-t-il à ses trois acolytes restés pour leur part deux pas en arrière. Ducon traverse notre territoire avec sa blondasse et il vient nous insulter alors que je désirais seulement me montrer poli. Dites un peu les gars, vous pensez que l’on peut tolérer laisser le premier venu nous cracher à la gueule sans le mettre grave à l’amende ?

Son visage déjà peu avenant, transfiguré par un sourire sadique, en disait long sur l’avenir qui se profilait pour Antoine et Sophie. Celui qui devait être le chef de cette bande lui répondit sur le même ton peu amène.

-Pour sur teddy, on peut pas laisser faire… Même que des excuses risquent de pas suffire…

Antoine sentit l’embrouille, ils utilisaient un scénario visiblement très bien rodé pour les mettre à l’amende. Contrairement à ce qu’ils espéraient, lui n’était pas particulièrement effrayé par ces quatre petites frappes, seule la présence de Sophie à ses côtés le limitait dans sa capacité à leur répondre. Sur la défensive, n’ayant d’autre choix pour le moment, il observa l’attitude des deux derniers larrons de la bande. Presque simultanément, ils enfouirent leur main au fond de leur poche de blouson. Qu’espéraient-ils y trouver ? Un couteau à cran d’arrêt ? Un rasoir ? Ou plus simplement une bombe lacrymogène ? Antoine préféra anticiper leur réaction en passant à l’offensive tout en le cantonnant, pour le moment du moins, sur un terrain verbal.

-Ecoutez les gars, je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous cherchez, mais une chose est sûre, vous vous trompez de client.

-J’hallucine total les gars, le coupa brusquement Teddy, non seulement il viole notre territoire mais en plus voilà maintenant qu’il nous menace. Tu ne devrais pas jouer les héros comme ça pour épater ta rombière, tu risques grave de la décevoir…

-Sophie, reste bien derrière moi, je vais régler le problème avant que ça dégénère.

L’expression du visage du roquet de service changea. Observant attentivement la figure d’Antoine, il prononça une nouvelle remarque à voix haute.

-Attend j’ai déjà vu la tête de nos deux tourtereaux ce matin, ce seraient pas eux qui font la une des feuilles de choux au sujet d’une sale histoire…

-Je m’en tape de ces conneries de journaleux, ils vont devoir passer à la caisse, je fixe l’amende à deux cents euros s’ils veulent avoir un avenir sur cette terre. T’as entendu connard, pour ta et ta bourgeoise je viens de fixer le tarif de l’amende. Un bon conseil, envoi l’oseille sinon…

-Teddy, c’est bien comme ça ton blaze ? J’ai eu un chien qui s’appelait comme ça, une vraie merde sur pattes qui puait de la gueule ! Tu sais ce que disait mon oncle au sujet de cloportes comme toi ? Non ? Il me répétait souvent : rentre dedans en prenant surtout bien soin de ne jamais me salir car la merde ça éclabousse !!

Tout en prononçant ces derniers mots, Antoine shoota dans les testicules du voyou à la manière d’un rugbyman désirant marquer un drop de cinquante mètres. Sous l’impact, l’excité de la bande fit un bond en arrière de deux mètres et s’écroula au sol en se tenant le bas ventre à deux mains. Soucieux de la réaction des trois autres, il ne le regardait déjà plus. Dans un mouvement des plus fluides, il plongea à son tour sa main dans la poche de son blouson pour en extraire un petit pistolet automatique qu’il braqua en direction de la tête du chef de bande. Surpris par la tournure des événements, les deux voyous légèrement en retrait n’eurent pas le temps de réagir. Les mains toujours dans leurs poches, ils le regardaient interdit sans savoir comment réagir.

-Fait pas le con, ne tire pas… Le supplia presque celui qu’il tenait dans sa ligne de mire.

-C’est quoi cette histoire de journaleux ?

- Je te jure, c’est pas des cracks… Il y a ta photo et celle de ta poule en première page des journaux. Me demande pas pourquoi, je ne lis pas ces feuilles de choux et puis tu dois sûrement le savoir bien mieux que moi.

-Il y a un point presse dans le coin ?

-Ouais, au fond de la galerie il y a un petit kiosque.

-Parfait ! Tu dois certainement connaitre chaque recoin de cette gare comme ta poche, ramasse ton copain et conduis nous dans un endroit plus discret. Je ne veux pas me donner en spectacle mais si tu joues au con ça me rendra nerveux. Tu sais ce qui peut se produire quand un gars nerveux a le doigt figé sur la détente d’une arme à feu ? Il arrive un accident ! Tu ne tiens sûrement pas à ce que cet accident ne te traverse le peu de cervelle que tu possèdes ?

Pour toute réponse, son interlocuteur dégluti puis hocha négativement la tête de droite à gauche.

-Très bien et tu t’appelles comment ?

- Tony.

-Bon Tony, écoute-moi bien attentivement. Envois un de tes larbins acheter un journal du jour et tu lui indiqueras où venir nous retrouver. Attention, pas de bêtises, si tu tentes de me doubler, tu seras le premier à le regretter.

Le dénommé Tony fit signe de s’approcher à l’un de ses deux comparses encore valide et l’envoya acheter un journal en lui donnant l’endroit où il devrait venir les rejoindre. Sitôt ce dernier parti exécuter les ordres de son chef. Il ne restait plus que lui et un dénommé Taps, ensemble ils trainèrent Teddy qui continuait à endurer le martyr.

A cette heure de la journée, le clame régnant dans l’enceinte de cette gare tranchait avec l’agitation qui régnait au dehors depuis le débarquement en force des policiers. En toute impunité, ils purent donc s’engouffrer tous les cinq par une porte de service. De couloirs en couloirs, de portes coupe-feu en portes coupe-feu, le petit groupe progressa jusque dans une grande salle sans issue à l’aspect peu engageante Ce cul de sac ferait sans doute l’affaire un temps mais hors de question de s’éterniser ici plus que nécessaire.

Tony et Taps posèrent Teddy à même le sol. N’ayant pas encore retrouvé une respiration normale, ce dernier lançait à Antoine des regards noirs emplis de sous-entendus. De nouveau sur pieds, il faudrait se méfier de lui et de la vengeance qu’il devait se promettre d’exercer à leur encontre.

-Sommes-nous en sécurité dans cette salle ? Questionna-t-il Tony en faisant d lui son interlocuteur principal.

-Sûre, personne ne vient jamais ici. On se sert parfois de cette cache comme QG pour s’amuser avec des nanas.

-Ok alors tout le monde s’assoit par terre les mains bien en vues derrière la tête. On ne bouge plus d’un poil jusqu’au retour de votre copain. Pour être tout à fait précis, je lui donne maxi dix minutes pour rapporter l’édition du jour. Passé ce délai, je vous descendrai un par un toutes les deux minutes. Pour en revenir à ce que tu me disais tout à l’heure, les nanas que vous ameniez ici étaient toutes consentantes, bien sûre…

-Toujours, j’en sais rien… En tous cas elles semblaient aimer ça…. Lui répondit-il en évitant soigneusement de croiser le regard de Sophie.

-Une bande de durs qui violent des filles impuissantes à se défendre, voilà donc ce que vous êtes ! Si nous n’étions pas aussi pressés, je vous aurai volontiers laissé aux bons soins de mon amie. Elle a l’air douce et gentille, vous ne trouvez pas ? Pourtant je suis certain que si je devais m’absenter, vous me supplieriez vite de revenir pour l’empêcher de vous émasculer. Si ce terme ne vous parle pas, disons qu’elle vous couperait les couilles avec le sourire. S’il y a bien une chose qui transforme une femme en animal dangereux, c’est bien de lui confier une bande de violeurs qui en plus osent prétendre que leurs victimes semblaient aimer ça. Courageux comme vous êtes, vous devez posséder de la corde ou des menottes pour éviter qu’elles bougent trop…

-C’est possible…

-Attention aux mauvaises réponses, le tarif sera minimum une balle dans la jambe. Le ménisque explosé, c’est les béquilles à vie ! Alors ?

-Dans l’armoire métallique du fond, derrière les sacs en toile, il y a plusieurs paires de menottes. Ce local devait servir aux vigiles avant qu’ils déménagent au troisième sous-sol.

-Tu vois quand tu veux… Taps, va les chercher !

Ne sachant s’il devait obéir à Antoine, il jeta un regard interrogateur à Tony. Devant l’incapacité du chef de la bande à s’opposer à ce qui venait de lui être ordonné, il trouva plus sage de coopérer. A trois mètres de là, dissimulée sous un morceau du revêtement du sol, il sorti une petite clé de laiton. Se rendant à l’armoire métallique, il l’inséra dans la serrure et en ouvrit la double porte. Il repoussa les sacs en toile et dix paires de menottes soigneusement rangées apparurent à la vue de tous. Antoine lui commanda de lui en apporter six paires.

Sophie, restée légèrement en retrait près de la porte d’entrée, observait le déroulement de cette scène sans vraiment prendre conscience qu’il s’agissait de la réalité. La violence avec laquelle Antoine gérait la situation ne la choquait pas trop, elle comprenait qu’il agissait au mieux pour s’assurer de leur propre sécurité. Le brusque changement de monde dans laquelle cette histoire les faisait basculer tous les deux les avait pris au dépourvu. Les évènements s’enchainaient les uns aux autres sans maitrise possible. Ils avaient tous deux dix-sept ans, il l’aimait, elle l’idéalisait, le charme de leur jeunesse insouciante venait de se briser. Petit à petit, elle commença à craindre que leur fuite ne finisse mal. Elle maudit le sort, sans lui et ces quatre blousons noirs, ils seraient déjà au fond d’un train à attendre le départ pour Paris. Contrairement à Antoine, elle ne semblait pas faire grand cas de la publication de leurs photos en première page des journaux.

Six coups secs et rythmés résonnèrent  à la porte, Tony traduisit le code.

-C’est Dino, il nous avertit qu’il n’a pas été suivit ;

-Très bien, qu’il entre.

Tony quitta sa place et alla ouvrir la porte toujours sous la menace latente de l’arme à feu d’Antoine. A peine entré, Antoine lui arracha le journal des mains pour parcourir fébrilement les gros titres.

-Tony, tu vas prendre les menottes et vous attacher les uns aux autres. Lorsque ce sera fait, tu utiliseras la dernière paire pour relier tes poignets au gros tuyau que tu vois sur ce mûr. Exécution.

L’intéressé ne se le fit pas répéter deux fois avant d’obtempérer. Cinq minutes plus tard, ils étaient tous les quatre reliés ensemble par les bracelets métalliques. Antoine et Sophie pouvaient maintenant les quitter sans risque, ce qu’ils firent sans l’ombre d’un regret.

OOOO

-Allô patron, c’est moi Joë.

-Joë, mais qu’est-ce-que tu fous ? Ça fait trois jours que j’attends de tes nouvelles !! Ils sont morts ?

-Pas encore patron, mais ça ne devrait plus tarder.

-Joë…

-Les bleus son sur leurs talons, le piège devrait se refermer très rapidement.

-Joë si tu continues à me décevoir, c’est sur toi que le piège va se refermer, et ça s’appellera une tombe !

-Patron, dans trois jours au plus tard ils seront morts, je vous le jure.

-Attention Joë, ne fais pas de promesses que tu ne saurais pas tenir. Moi, par contre, je vais t’en faire une moi, que je tiendrai. Si dans trois jours tu n’as toujours pas de bonnes nouvelles pour moi, ça sentira le sapin. Tu me comprends bien.

-Oui patron, c’est très clair.

-Parfait. Tu as une idée sur l’endroit où les gamins se planquent ?

-A peu près, en tout cas je sais où ils étaient hier. Le môme a tiré de l’argent en utilisant sa carte bleue dans un distributeur automatique de Besançon. Les poulets ont bouclé le quartier trop tard, nos tourtereaux s’étaient déjà fait la belle. Ensuite ils ont été chahutés par une bande de caves qui ont essayés de les raquetter. Pour se défendre, il parait que le môme les a braqués.

-Le neveu du vieux est armé

-C’est en tout cas ce que les caves m’ont affirmé sur leur vie avant que je les dessoude. Ce que je peux dire, c’est qu’ils n’avaient pas l’air de me raconter des salades.

-J’aime pas ça, s’il est armé, c’est qu’il prévoyait notre arrivée. Décidemment le vieux protégeait toujours aussi bien ses arrières malgré son âge. Enfin, armé ou pas tu feras avec. Ne perds surtout pas de vue que tu ne possèdes que trois jours pour les éliminer tous les deux. Passé ce délai, c’est toi qui iras bouffer les pissenlits par les racines. Une dernière chose, surveilles les flics, ils ont l’air de les suivre à la trace de très près.

OOOO

-Antoine, tu ne vas tout de même pas voler ce vélo ?

-Pourquoi, tu as mieux à me proposer ?

-Laisses-moi téléphoner à mes parents, je suis persuadée qu’ils trouveront un moyen pour nous venir en aide.

-Sois réaliste Sophie, la ligne téléphonique de tes parents doit être constamment sur écoute. Si je te laissais faire cette bêtise, dans moins d’une heure cet endroit grouillera de policiers. Ecoutes-moi, même si ce n’est pas agréable, je t’assure que c’est la meilleur solution pour tenter de quitter cette région. A moins, bien sûre, que tu ne préfères encore marcher à pieds…

-Pitié, non plus de marche. Bon c’est d’accord, je veux bien que tu empruntes ce vélo mais si seulement tu acceptes de jeter à la poubelle l’arme que tu dissimules sous ton blouson.

Antoine se désintéressa du vélo et regarda Sophie ave indulgence. L’incident survenu dans la gare les forçait à revoir leurs plans. Leur photo en une de tous les journaux régionaux ne le permettait plus de prendre impunément un train pour Paris. A l’heure qu’il se faisait, chaque wagon devait subir une fouille en règle. Que la police continue à perdre son temps sur cette mauvaise piste lui convenait tout à fait. En profiter pour prendre un peu d’avance s’imposait.

-Sophie, ma chérie, je t’ai déjà expliqué que si je pouvais m’en défaire, je le ferai avec plaisir, malheureusement c’est notre unique moyen de défense. Songes une minute que sans lui les voyous de la gare nous auraient probablement dépouillé de notre argent et peut être même abusé de toi. Comme toi je n’ai aucune passion pour les armes, dès que nous nous trouverons en sécurité, je te jure de la faire proprement disparaitre. En attendant, je te conjure de faire comme moi, considère la juste comme un moyen et surtout pour rien d’autre.

-Tu me le promets ? Insista Sophie qui souhaitait l’entendre une nouvelle fois de sa bouche.

-Oui ma chérie sur notre amour je te le promets.

L’incident clos, Antoine reporta de nouveau son attention sur l’antivol de la bicyclette Malgré tous ses efforts, il ne parvint pas à le forcer. Mauvais perdant, il renonça en donnant un coup de pied dans la roue avant.

-Ne t’énerve pas, tu trouveras sûrement un autre moyen, tenta Sophie pour le calmer.

-Tu as cent fois raison Sophie, au lieu d’essayer bêtement de voler un vélo attaché à un réverbère, je vais aller me servir dans une boutique. Comme ça nous en aurons deux pour le prix d’un. Un pour toi et un pour moi. Il ne reste plus qu’à se mettre en quête d’une boutique de cycles un peu à l’écart du centre-ville pour ne pas attirer l’attention.

Parcourant d’un bon pas les ruelles contournant le centre-ville. Antoine et Sophie finirent par trouver leur bonheur. Au détour d’une rue, le magasin tant convoité leur apparut sous l’apparence d’un vendeur de VTT. Sophie pour qui le vélo n’était pas son sport favori, s’inquiéta à voix haute en observant la forme du cadre et des roues.

-Tu ne veux tout de même pas voler ces drôles de bicyclettes ?

-Réfléchis, au contraire c’est l’idéal. A l’heure qu’il est, la majorité partie des routes doivent être barrées par la police. Notre seul espoir de passer entre les mailles du filet, c’est de prendre par la forêt. C’est notre dernière et unique chance de réussite, avec ces VTT nous augmentons considérablement les probabilités en notre faveur. Bon maintenant je vais entrer. Par prudence, je préfère  que tu restes dehors un peu à l’écart au cas où ça tournerait mal. Dès que j’aurai maîtrisé le vendeur, je te ferai signe de t’approcher.

Les mots étaient devenus inutile, pour lui insuffler un peu de courage elle l’embrassa tendrement sur les lèvres. L’enserrant par la taille, il lui rendit fougueusement son baiser. A regrets ils se séparèrent, Antoine se dirigea d’un pas décidé en direction du magasin.

A peine entré, il fit mine de s’intéresser aux caractéristiques techniques de plusieurs modèles de marques différente. Le vendeur, un homme d’une cinquantaine d’années légèrement ventripotent au visage jovial, s’approcha d’Antoine en qui il voyait un acheteur potentiel. A renfort de grands gestes, le vendeur lui prodigua conseils sur conseils, ventant telle avancée technologique ou tel détail pratique. Antoine, attentif, écoutait patiemment en se demandant sur lequel de ces vélos il allait porter son choix final.

Une fois ce choix réalisé, il commença à esquisser un geste du poignet en direction de l’arme dissimulée sous son blouson, lorsque la clochette de la porte d’entrée retentit. Un jeune garçon d’une douzaine d’années entra, le vendeur s’excusa auprès d’Antoine et alla à sa rencontre. Il lui vendit rapidement des garnitures de frein arrière et le raccompagna jusqu’à la porte. Nerveux, Antoine ne souhaitait plus perdre de temps ici. A peine le vendeur revenu à ses côtés, il lui exhiba le canon de son arme sous le nez. Sous la menace, Antoine le força à entrer dans les toilettes dont il bloqua la porte avec le dossier d’une chaise en bois calée contre la poignée. Revenu près de la vitrine, il fit signe à Sophie de venir le rejoindre, puis il baissa les stores. A peine avait-elle pénétré dans la boutique que Sophie entendit le vendeur tambouriner de toutes ses forces contre la porte. La chaise frémit légèrement mais ne céda pas.

-J’ai honte de ce que nous sommes en train de faire, lui avoua Sophie en se mordillant les lèvres nerveusement.

-Que crois-tu, moi aussi j’ai honte, seulement la fin justifie les moyens. Dès que nous serons en sécurité, nous préviendrons tes parents pour qu’ils puissent indemniser le vendeur de notre préjudice. Ça te convient ?

-Comme ça je veux bien. Tu me conseilles de prendre quel vélo ?

-Prends le vert à gauche, moi je prends le rouge. Avec eux la forêt ne devrait plus nous poser trop de problème. En route.

Pédalant de bon cœur, ils roulèrent aussi vite que possible sur la route sinueuse qui plongeait dans les sous-bois. Antoine était certain de son itinéraire, il avait pris soin de dérober une carte détaillée de la région en même temps que les deux vélos. Les premiers kilomètres avalés, Sophie grimaça. Appuyant sur les pédales de toutes ses forces, elle avait de plus en plus de mal dans ses mollets qui se tétanisaient peu à peu. Serrant les dents, elle tenta vainement de penser à autre chose. L’observant du coin de l’œil, Antoine l’encouragea de la voix et du geste, il fallait qu’ils mettent de plus de distance possible entre eux et leurs poursuivants. Le terrain de plus en plus accidenté convenait assez mal à un effort soutenu, des faux plats succédaient à de petites côtes à fort pourcentage qui leur coupait les jambes. Ce n’est qu’en bas d’une interminable descente recouverte de mousse glissante, que Sophie et Antoine s’accordèrent une pause.

-Ça va ? Lui demanda Antoine en la voyant très pâle transpirer à grosses gouttes.

-Je sens que je vais bientôt mourir, à part ça, comme tu dis souvent, tout baigne.

-Je sais que c’est difficile, tu fais preuve de beaucoup de courage. Pourtant on ne va pas pouvoir s’arrêter plus de cinq minutes, ils ont sûrement déjà délivré le vendeur pour se lancer à notre poursuite.

-Je te suivrai jusqu’au bout du monde s’il le fallait, mais par pitié laisses moi respirer un peu. Tu crois vraiment qu’ils sont déjà sur nos traces ?

-C’est possible, tout est possible…. En tout cas une chose est certaine, je n’attendrai pas qu’ils nous rattrapent pour en avoir le cœur net. La forêt est grande, nos chances de les semer ne sont pas négligeables.

-Comment ferons-nous lorsque nous seront trop épuisés pour continuer à appuyer sur les pédales ?

-J’y ai déjà songé. Demain matin au plus tard, nous irons braquer un autre magasin, mais cette fois-ci nous volerons deux scooters. On devrait posséder suffisamment d’argent en poche pour remplir nos réservoirs jusqu’à Paris. Comme ils ne seront pas immatriculé et plutôt nombreux sur les routes, nous ne devrions pas être repérés rapidement. Ni vu, ni connu, nous possédons deux fois plus de chance de ne pas se faire attraper. Tu as assez récupéré pour pouvoir repartir ?

-Je pense que oui.

-Courage ma chérie, nous allons nous en sortir…

Publié dans Polars

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