(Episode 3) Le Marquis du Val de Brume

Publié le par Denis Lereffait

OOOO

-Allô patron, c’est moi Joë.

-Joë ?...Quelle bonne surprise, je t’avais donné trois jours et tu n’en as utilisé que deux, c’est bien il y a du progrès. Alors, ces nouvelles…

-On a eu un léger pépin patron.

-Joë…Dois-je comprendre qu’ils ne sont pas encore morts ? lui demanda-t-il la menace plein la bouche.

-C’est pas tout à fait ça, corrigea immédiatement Joe qui craignait le tempérament colérique de son patron.

-Alors accouche !!!

-Comme vous me l’aviez conseillé, nous avons branché nos scanners sur la longueur d’onde des poulets. Ce matin vers onze heures, ils ont balancé des infos sur nos deux mômes. A ce qu’ils disaient, plusieurs témoignages les localisaient à proximité d’une maison de retraite située en pleine forêt, à une quarantaines de kilomètres de Besançon. Lorsqu’ils ont essayé de téléphoner à la réception des vieux, les bleus n’ont pas pu obtenir de réponse. Ils en ont immédiatement conclu à une possible prise d’otages ou à un nouveau rite satanique. J’ai décidé de les prendre de vitesse, on a pris les bagnoles et on a foncé. Presque arrivé, j’ai laissé deux gars un peu avant la forêt pour assurer nos arrières puis j’ai pris d’assaut la maison de retraite.

-O.K et alors ?

-Pour être certain de ne pas les rater, on a descendu tout le monde. Alors la guigne s’est abattue sur nous, les deux mômes qui avaient choisi de s’abriter là à cause d’un orage n’étaient pas les bons.

-Vous en avez buté combien ?

-Douze, mais en comptant les deux mômes…

-Tu es en train de m’annoncer fièrement que tu as buté pas moins de seize personnes en une semaine pour rien !

-C’est vrai patron, mais ne vous inquiétez pas, nous allons les avoir. On finit de mettre le feu pour effacer les traces de notre passage ici et on met les voiles.

-Tu comptes descendre encore beaucoup de gens avant de mettre la main sur ces deux mômes ?

-Alors là patron, je ne me suis pas encore posé la question.

-Moralès est avec toi ?

-Oui patron, il est juste derrière moi.

-Passes le moi.

La voix qui résonna dans le combiné téléphonique changea du tout au tout. Un homme au fort accent hispanique prit la parole.

-Patron ?

- Ecoute-moi bien Moralès. Joe est non seulement un con, mais en plus c’est un incapable. Bute-le et je te donne sa place, OK ?

Pour toute réponse, deux détonations retentirent en échos à sa proposition.

-C’est réglé patron, quels sont les ordres ? Reprit Moralès sans l’ombre d’une émotion.

-Changement de programme pour toute l’équipe, nous abandonnons la piste des mômes pour le moment. Récupères tes deux gars laissés en arrière et rappliques ici. Je t’attends toi et toute ton équipe ce soir à vingt-deux heures chez moi au Vésinet. Des questions ?

- Aucune patron.

La conversation entre les deux hommes n’alla pas plus loin. A peine raccroché, Moralès rassembla ses troupes et prit le chemin du retour.

OOOO

Le voile rouge qui lui masquait totalement son champ de vision se déchira lentement. Par étapes successives, la teinte sanguine glissa vers le rose. C’est à ce moment précis qu’il commença à discerner les sons qui l’environnaient. Toujours partiellement aveugle, son cerveau reprenait peu à peu son activité, il enregistrait les sons sans pour autant parvenir à les identifier. Les minutes passèrent, sa vision continua à s’améliorer, l’intensité de la lumière décrue, le contour des objets qui l’environnait se firent plus précis petit à petit.

Cette sensation d’amélioration se propagea à tout le reste de son corps, il ressentit un léger fourmillement lui parcourir l’extrémité de ses doigts. Cette vie qui lui revenait, Edouard Dubert voulu la saisir à bras le corps. Il se concentra et tenta de refermer le poing. Malgré toute la bonne volonté qu’il essayait de mobiliser, seul son pouce et l’annulaire daignèrent lui obéir. Parallèlement, il ressentit une forte pression au niveau du biceps de son bras gauche. Sur le point de paniquer, il comprit tout bêtement que quelqu’un était en train de lui prendre sa tension artérielle.

Rassuré, son cerveau analysa la situation calmement en tentant de faire des associations d’idées. Il maria le mot tension avec celui de médecin, puis médecin à celui de chambre d’hôpital. Quelques instants plus tard, il eut confirmation de ses déductions lorsque son système auditif redevint complètement opérationnel. La rigidité musculaire qui lui paralysait les muscles du cou commença à se résorber. Avec précaution, il tourna lentement la tête de droite à gauche. A présent les yeux grands ouverts, il fut surpris de constater qu’un nombre important de personnes en blouses blanches s’activaient autour de lui.

Comme une grande majorité de ses muscles retrouvaient leur motricité naturelle, il réitéra ses efforts pour plier ses doigts. Il n’y parvint qu’à l’issue de la troisième tentative. Ses efforts ne passèrent pas inaperçu, un visage féminin se pencha vers lui en braquant un faisceau lumineux en direction de ses yeux. Elle observa avec attention sa pupille puis, visiblement rassurée, se redressa en souriant. Aussi vite qu’elle était apparue, elle disparut de son champ de vision. Lorsque pour suivre l’agitation qui l’entourait dans la pièce, Edouard Dubert tenta de relever la tête, non seulement ses muscles refusèrent de coopérer, mais en plus une douleur fulgurante lui traversa la nuque. Simultanément une main se posa sur son épaule dans le but évident de le calmer, suite à quoi une voix féminine s’adressa doucement à lui.

-Ne faites pas d’efforts pour le moment. N’essayez surtout pas de vous relever, vous êtes encore bien trop faible pour espérer y parvenir.

Tentant de comprendre, il fouilla dans sa mémoire les raisons éventuelles de sa présence ici. N’y parvenant pas, il renonça provisoirement, son cerveau fonctionnait apparemment normalement mais pas ses souvenirs. Il aurait désiré demander à l’infirmière de garde le motif de sa présence dans cette chambre d’hôpital, mais les mots moururent au fond de sa gorge en émettant un gargouillis totalement incompréhensible. Résultat de cet effort inconsidéré, ses cordes vocales irritées le brulèrent. De cette souffrance naquit une évidence, il avait soif, très soif. Une infirmière brune qu’il ne se souvenait pas d’avoir déjà rencontré s’approcha à son tour de son lit.

-Monsieur Dubert, surtout pour le moment restez calme. Ne cherchez pas non plus à parler. Pour vous alimenter nous avions placé des canules flexibles qui reliaient votre bouche à votre estomac. En tentant de solliciter vos cordes vocales, vous risquez de vous provoquer une inflammation, ce qui aurait pour incidence de retarder votre rétablissement de plusieurs jours. Si vous m’avez bien compris, merci de cligner deux fois des paupières.

Heureux d’avoir enfin trouvé un moyen de communiquer sans user de la parole, Edouard Dubert s’empressa de faire exactement comme elle venait de dire.

-Très bien, reprit-elle satisfaite de sa collaboration, nous allons maintenant procéder à quelques testes. A l’issue de chacune de mes questions, clignez deux fois des yeux pour dire oui et une seule fois pour dire non. Attention nous allons commencer.

Procédant méthodiquement, l’infirmière s’attacha à vérifier ses réflexes ainsi que la sensibilité de certaines de ses terminaisons nerveuses. Edouard Dubert se soumis de bonne grâce à l’ensemble de ces examens qui durèrent pas moins d’une heure. Mis à part une sensibilité réduite au niveau de sa voûte plantaire, les résultats furent très nettement encourageants. L’infirmière attentive à ne pas trop l’épuiser, lui demanda en utilisant le même procédé s’il se sentait capable de supporter un second examen. Il allait papillonner des paupières pour lui répondre affirmativement lorsqu’un individu bruyant fit irruption dans sa chambre. Aussitôt l’infirmière intervint en allant au-devant de lui.

-On m’a dit qu’il vient de se réveiller, c’est vrai ?

-Commissaire, une chambre d’hôpital n’a strictement rien à voir avec un moulin ! Ici je vous prierai de frapper avant d’entrer et surtout de parler deux tons plus bas.

-C’est bon, c’est bon, il est réveillé ?

-Oui commissaire, monsieur Dubert vient de sortir du coma.

-Je veux lui parler tout de suite, j’exige…

-Ici vous n’exigez rien, le chef de service responsable de ce qui se passe entre ces mûrs, c’est moi et non vous. J’estime que Monsieur Dubert n’est pas encore suffisamment rétablit pour répondre à vos questions.

-Quand alors ? Se retint d’aboyer le commissaire Lebol de peur de se voir éjecter de la chambre.

-Ce malade a besoin d’énormément de repos, sortir du coma est une épreuve traumatisante. Avant de le laisser dormir pour qu’il récupère, nous devons encore pratiquer plusieurs examens importants. En admettant que ses cordes vocales cicatrisent rapidement, vous devrez patienter au moins deux jours pour espérer pouvoir vous entretenir oralement avec lui. Si la cicatrisation s’avère plus longue, vous devrez attendre.

-Mais je ne peux pas attendre autant de temps, lui répondit-il en se maitrisant difficilement. J’ai une enquête sur les bras…

-Et moi des malades soigner ! Maintenant je vous demande de bien vouloir sortir de cette chambre, monsieur Dubert a besoin de sommeil.

Maugréant à moitié, le commissaire Lebol, n’eut d’autre ressource que d’obéir à ces adjonctions. Avant de reporter son attention sur l’infirmière qui dirigeait ce service. Edouard Dubert entendit le Commissaire distribuer ses ordres avant de s’éclipser. Ce dernier ordonna à son second de le prévenir dès que Dubert serait capable de répondre à ses questions.

Le silence enfin revenu dans la chambre, plusieurs analyses lui furent pratiquées avant qu’on ne le laisse seul pour reprendre quelques forces puisées au fond d’un sommeil réparateur.

Publié dans Polars

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