(Episode 6) : Le Marquis du Val de Brume

Publié le par Denis Lereffait

Antoine se redressa l’air méchant. Hors de question de se laisser marcher sur les pieds sous peine que ça ne dégénère très vite.

-Fais gaffe connard, la prochaine fois que tu essuies tes pompes sur mes fringues, je te casse la tête, se rebiffa Antoine.

-Pas de bol Steph, ducon se révolte. A ta place je n’apprécierai pas les menaces, le relança Momo sous les regards attentistes de ses quatre copains.

-Eh ducon, personne ne me parle comme ça. Je ne sais pas qui tu es, mais mon pote Momo a raison, tu mérites une vachte de bonne leçon.

-Une bonne leçon, rien que ça !!! A ta guise, je t’attends si tu n’as pas peur de te faire ridiculiser devant tes potes…

-Je vais te fermer ta grande gueule ducon.

-Tu sais ce qu’elle te dit ma grande gueule branleur…

-Non je t’en prie dis le moi, je meurs d’envie de le savoir, lui renvoya le dénommé Steph en lui exhibant sa lame de rasoir.

-Ma grande gueule t’assure que si tu continus à me faire chier, ou si tu cherches des poux à ma copine, je te colles une bastos en pleine tête. Vu branleur ? Lui répondit sur un ton égal Antoine en lui braquant son révolver en direction du visage.

-On se calme !!! Surtout pas de connerie ici, lança en avertissement la voix d’un septième loubard en entrant à son tour dans la chambre. Steph remets immédiatement ton rasoir dans ta poche. Et toi l’inconnu, tu remballes ton artillerie ! Décidemment, impossible de vous laisser dix minutes tout seul sans que vous fassiez des conneries. Bien sûr, toi Momo, tu n’as pas pu t’empêcher de jeter de l’huile sur le feu… Vous arrivez, vous trouver une nana au pieu et c’est la grande fête. Je me demande encore pourquoi je me traîne avec vous depuis deux mois.

-Mais James, tenta de plaider Steph, on ne peut tout de même pas laisser n’importe qui prendre possession de notre territoire en baissant notre pantalon…

-Notre territoire !!! Cette baraque pourrie t’appartient peut être… Tu possèdes un acte notarié, des quittances de loyer… Non ? Alors…

-Mais…

-Y a pas de mais, vous faites chier à regarder ces films américains en croyant que c’est vrai ! Ici c’est la maison de tout le monde, aussi bien celle des cons que des désespérés. C’est à cause de réactions comme la vôtre que les gens dehors assimilent les marginaux de notre espèce à des tueurs de vieilles dames.

Steph écouta sans broncher les remontrances verbales de James. Soumis, il replia la lame de son rasoir et le remit dans sa poche. Antoine qui en menait nettement moins large qu’il ne le prétendait, fit disparaître son arme de poing sous la toile de son blouson. La situation évoluant positivement, Sophie profita de ce léger flottement pour se mettre à l’abri derrière Antoine.

-Bien, maintenant que nous agissons enfin en individus civilisés, je serai curieux de savoir qui vous êtes et comment vous êtes entrés.

-Je suis Antoine et voici Sophie. Raoul nous a dit que nous pourrions trouver ici un logement provisoire pour la nuit si on ne savait pas où dormir.

-Ce sacré Raoul, murmura songeur James un léger sourire aux commissures des lèvres. Voilà un gars qui aurait encore sa place parmi nous. Si seulement son karma ne lui avait pas donné des idées d’évasions… Lorsque vous l’avez rencontré, il allait bien ?

-J’ai parlé avec lui une bonne partie de la nuit, il semblait avoir l’air heureux de son choix.

-Ça c’est un homme, ce gars-là, il a des couilles ! Toujours en route pour Tombouctou ?

-Non il m’a dit qu’il allait au Tibet, lui répondit Antoine conscient de passer un test.

-Ha oui c’est vrai, le Tibet… Je ne mettais pas ta parole en doute mais je me devais de vérifier si tu n’étais pas un poulet qui essayait de nous noyauter. Les amis de Raoul sont nos amis. Vous êtes ici chez vous, tachez de  respecter notre espace vital, en échange je m’engage à ce que nous respecterons le vôtre. Maintenant afin que tout soit bien clair, je vous demande à tous les deux de vous serrer la main, demanda James à Steph et Antoine.

Antoine s’approcha immédiatement de Steph la main tendue en signe d’amitié.

-Excuse-moi d’avoir utilisé ton lit sans t’en demander l’autorisation. J’étais tellement crevé que je n’ai pensé qu’à dormir.

-C’est oublié, lui répondit Stephen répondant favorablement à sa main amicale.

L’incident étant clos, James affecta une partie du premier étage en couple en cavale. Afin de leur préserver un minimum d’intimité, tous donnèrent un petit coup de main pour retaper la chambre qui leur fut allouée. Même la porte qui avait été retirée de ses gongs pour faciliter les allers et venues entre les pièces fut remise en place. Installés, légèrement reposés, seul restait en suspens la question du repas du soir. Une fois de plus la providence vint à leur rencontre, cette fois-ci elle apparut sous les traits de Momo.

-Antoine dit voir, on peut causer un peu tous les deux ?

-Bien sûre, je t’écoute…

-Ne le prend pas mal, mais je préfèrerai de parler seul à seul sans ta souris.

-Ok. Tu connais l’endroit mieux que moi, je te suis.

Ensemble ils quittèrent la chambre. Momo précédent Antoine de quelques pas. Ils empruntèrent l’escalier principal et descendirent au rez-de-chaussée. A l’abri d’oreilles indiscrètes, Momo expliqua à Antoine le deal qu’il avait imaginé.

-Ton flingue m’intéresse, tu serais prêt à un petit troc avec moi ?

-Possible, tout dépend de ce que tu me proposes en échange. Comme je ne suis pas un arnaqueur, je préfère te dire tout de suite que je n’ai plus les cartouches qui vont avec.

-Tu veux dire que tout à l’heure, lorsque tu menaçais Steph de le descendre, ton arme était vide ? …Putain toi t’es un gars qui a des couilles, ou alors t’es encore plus ouf que nous. Un conseil d’ami entre nous, ne recommences jamais à jouer à ce jeu avec lui, je te promets qu’il ne rigolait pas, sans l’intervention de James, il t’aurait découpé en petits morceaux. Bon, même sans cartouches ton flingue me botte. En échange je te propose sept carnets complet de tickets restaurant, une rolex et un blouson de cuir ;

L’occasion était bien trop bonne de pouvoir dîner aux frais de la princesse pour la laisser stupidement passer. Antoine s’empressa donc d’accepter son offre, l’échange se fit immédiatement. Heureux, il remonta prévenir Sophie de la bonne nouvelle et l’emmena au Mac Donald le plus proche à bord du scooter volé. Deux heures plus tard, rassasiés au possible, ils regagnèrent le squat pour s’y endormir après un câlin complice qui acheva de les épuiser.

Les heures passèrent, l’un contre l’autre, leurs jambes tendrement entrelacées, ils ne virent pas la pleine lune éclairer le ciel d’une douce lumière. Pas plus qu’ils n’entendirent les trois voitures de police banalisées et le fourgon au gyrophare éteint encercler le pavillon. La discrétion des forces de l’ordre ne dura pas longtemps, lorsqu’ils investirent le rez-de-chaussée, les ordres furent distribués à grand renfort d’éclats de voix.

Encore à moitié plongés dans leurs rêves, Antoine et Sophie réagirent avec un temps de retard. Contrairement à James et aux autres membres de sa bande qui dévalaient déjà les deux étages les séparant de la sortie au pas de course. L’un comme l’autre, ils comprirent que leur cavale venait de prendre fin. En un sens ils étaient soulagés, cette fuite en avant n’avait que trop durée. Ils s’assirent au bord de leur lit et attendirent patiemment que la police vienne les chercher Bien leur en prit car quelques instants après ils entendirent un policier crier qu’un des jeune était armé. Un mouvement de panique dut se dessiner car plusieurs coups de feu retentirent mêlés à des cris de douleur.

Antoine n’eut pas besoin de dessin, ni d’explication pour comprendre que Momo avait sans doute tenté d’effrayer les policiers en exhibant son arme pour se frayer un chemin vers la sortie. Peu à peu les cris s’estompèrent. Des ordres brefs résonnèrent en provenance du rez-de-chaussée, aussitôt des bruits de pas se firent entendre dans l’escalier. La porte de fortune installée par la bande de James vola hors de ses gongs dès les premiers coups de pied des policiers. Visiblement mal à l’aise de la tournure des évènements, les deux policiers qui venaient de faire irruption bruyamment étaient on ne peut plus nerveux. L’arme de service à la main, le cran de sûreté ôté, ils balayèrent du regard l’ensemble de la chambre puis fixèrent le couple que composaient Antoine et Sophie.

-Mettez-vous à plat ventre, les bras et les jambes bien écartées. Surtout pas de mouvements brusques.

L’un des deux policiers était très jeune. Le doigt crispé sur la détente de son arme de service, il ne lui en fallait pas beaucoup pour qu’il tire. Prudent, Antoine fit signe à Sophie d’obéir. La voix impérieuse du policier le plus âgé reprit de plus belle.

-Vous êtes seuls dans cette chambre ?

-Oui, nous sommes tout seul, lui répondit Antoine.

-Vous dissimulez des armes, de la drogue ?...

-Non rien, on ne faisait que passer la nuit.

-Toi la fille, relèves-toi la première. Doucement, surtout pas de geste brusque.

Sophie obtempéra. Elle s’aida de ses genoux pour se relever. Le plus gradé la fouilla corporellement sans abuse de la situation puis ce fut au tour d’Antoine. N’ayant rien découvert de suspect sur eux, ils furent poussés sans ménagement dans la cage d’escalier en direction du rez-de-chaussée. Les coups de feu entendus un peu plus tôt avaient fait du dégât une couverture recouvrait partiellement le corps de Momo qui avait été touché mortellement à la gorge. Des autres membres de la bande, moins gravement touchés, attendaient à même le sol l’arrivée des secours médicaux.

Le pavillon fouillé, ils furent tous conviés à une visite guidée des locaux de la police au central située dans la rue du 8 mai 1945. Antoine lu la suspicion dans le regard de certains membres de la bande Il ne fallait pas être devin pour comprendre qu’ils ne pouvaient s’empêcher de faire un lien entre son arrivée avec Sophie et la descente de police.

James, leur chef charismatique, lui ne laissait rien voir de ce qu’il pensait. Assis en bout de banc dans le fourgon, juste à côté du jeune policier qui avait interpellé Antoine et Sophie, il paraissait étrangement passif. A la surprise d’Antoine, sa manière d’être en se modifia pas d’un iota jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans le dépôt. Ce n’est qu’une fois en cellule, qu’il vint prendre place à côté d’Antoine pour bavarder quelques instants.

-C’est toi qui a donné l’arme à Momo ?

-Oui, c’est moi. J’avais faim et il m’a proposé des tickets restaurants en échange. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il a menacé les flics avec en sachant qu’il n’était pas chargé.

-Te frappes pas, c’était un cowboy urbain. Il est mort en tentant de croquer du poulet, c’était son rêve à lui.

-Tu m’en veux ?

-Non, je ne t’en veux pas. Chacun choisi sa vie, son chemin, fait ses choix… Tu as peur de la mort ?

-Je n’y ais jamais vraiment pensé mais je crois que oui. Et toi ?

-Depuis dix ans elle m’enlève mes amis un par un. Un jour je sais que ce sera mon tour, j’ai beau être fière et la côtoyer tous les jours, j’en ai malgré tout une peur bleue. Toi et ta souris, c’est du sérieux ?

-Oui elle est cool. Je me vois bien faire un bon bout de chemin avec elle.

-On n’a pas eu beaucoup l’occasion de se parler tous les deux, mais tu ne me donnes pas l’impression d’être un zonard. Ton histoire, tes galères, je m’en tape, on a tous notre lot de misères, mais un conseil : évites de trop croiser la route de gars comme Momo. La vie est courte, les occasions d’être heureux trop rares, ne les gâches pas pour des conneries. Quand les poulets m’interrogeront, je leur dirai que toi et ta souris, vous n’êtes absolument pour rien dans nos affaires. Avec un peu de chance, dès demain vous serez libres.

-Et toi, qu’est-ce que tu comptes faire ?

-J’en sais trop rien. Peut être aller au Tibet retrouver Raoul pour savoir s’il avait raison.

-Tu avais vu juste tout à l’heure, si Sophie, ni moi, n’avons grand-chose en commun avec un squat. A bien y réfléchir, toi non plus d’ailleurs…

Sans crier gare un policier s’interposa entre eux. Indifférent à la conversation qui se déroulait entre les deux jeunes adultes, il attrapa James par les menottes et l’entraina à sa suite Antoine et Sophie, assis de part et d’autre du couloir à même un banc, attendirent que vienne leur tour en silence.

Publié dans Polars

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